Correspondance, Constantin STANISLAVSKI
» Savez-vous pourquoi j’ai abandonné mes affaires personnelles et me suis consacré au théâtre ?
Parce que le théâtre est la tribune la plus puissante qui soit, et que son influence est supérieure même à celle des livres et de la presse. Cette tribune est tombée sous la coupe des rebuts du genre humain, qui en ont fait un lieu de débauche.
Ma tâche consiste à purifier, dans la mesure de mes forces, la famille des artistes, à en bannir les ignorants, les illettrés et les exploiteurs. Ma tâche consiste à faire comprendre, dans la mesure de mes moyens, à la génération actuelle que l’acteur est propagateur de la beauté et de la vérité. A cette fin /…/, l’acteur doit être avant tout un homme cultivé, pour pouvoir comprendre, pénétrer les œuvres des plus grands maîtres de la littérature. Voilà pourquoi, à mon avis, il n’y a pas d’acteurs. Sur mille nullités, ivrognes et ignares qui se prétendent acteurs, il faut en rejeter neuf cent quatre-vingt dix-neuf pour n’en retenir qu’un digne de ce nom.
Ma troupe se compose d’universitaires, de techniciens sortis d’écoles secondaires et supérieures, et c’est ce qui fait la force de notre théâtre. Vous avez senti naître en vous l’amour du théâtre. Commencez par lui faire des sacrifices, car servir la cause de l’art consiste précisément à s’immoler à lui sans calcul. Etudiez… Lorsque vous serez devenu un homme cultivé et instruit, venez me trouver, si mon travail vous plaît toujours. Soyez prêt alors, oubliant la gloire et n’aimant que votre art, à suivre avec mes camarades et moi un chemin rude, pénible parsemé de ronces. Bien entendu, tout ceci n’est réalisable que si vous avez du talent… Mais le talent seul ne suffit pas au théâtre, surtout au XXe siècle.
Le répertoire du théâtre nouveau se composera d’œuvres dont les auteurs seront, par leur portée philosophique et sociale, des Ibsen à la deuxième puissance, et leurs pièces pourront être jouées seulement par des gens cultivés. Le temps est révolu des braillards et des histrions de province… «
Correspondance, Constantin STANISLAVSKI.
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