Brève : l’exercice du critique
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice »).
par Moïra Dalant
L’exercice de la critique, quel que soit le sujet abordé (art, théâtre, littérature) est celui d’un être sensible et raisonnant. L’art émerge en soi et face à soi. La réception d’une œuvre (l’effet de l’art au sens large) se fait présence et absence en même temps, il plonge le spectateur-récepteur dans l’expérience d’un mythe personnel, d’un rapport différent au monde et aux choses. Car l’œuvre, comme toute réalité empirique, ne se laisse saisir exhaustivement d’aucun point de vue. Il s’agit donc, en tant que critique, de trouver un équilibre entre la sensibilité aux œuvres et l’aptitude à raisonner. La perception d’un spectacle et sa transmission critique se faisant toujours de manière subjective, on tente une passation d’impressions d’un récepteur à un lecteur, l’exercice de la critique se compose alors de deux entités antagonistes sans être paradoxales : se soumettre à autrui (l’auteur, l’artiste) et s’accepter soi-même.
« Se soumettre à autrui » implique que l’on établisse au mieux le sens de l’œuvre perçue ou étudiée (il s’agit donc de s’informer suffisamment et de manier correctement l’information et son interprétation) ; l’idéal du critique est l’établissement de la vérité dans le sens premier du terme (vérité de correspondance ou d’adéquation), or ce que l’œuvre critique réalise concrètement n’est pas la vérité mais la plausibilité (ou vraisemblance). La foi dans la vérité est le principe régulateur du critique, toutefois certains préfèrent dire que « tout est interprétation », qu’il y a toujours un caractère interprétatif du regard critique, or « nul n’ose dire que n’importe quelle interprétation est légitime ». Il ne s’agit pas d’ajouter nos pensées à celles du créateur mais simplement de dévoiler les siennes. « Qui veut définir un auteur est tenté de l’intégrer abusivement à son ordre personnel, d’en faire le précurseur, admirable et pourtant incomplet, de ses propres pensées » (Paul Bénichou). Ce raisonnement s’applique seulement en partie à ce qu’on peut nommer la critique de l’émoi (celle du spectateur lambda, plus ou moins spécialiste), car celle-ci ne se veut en aucun cas universelle mais au contraire personnelle. Avant d’en revenir à une critique plus objective, la critique de l’émoi tente de rester au plus près de la réception première d’une œuvre, non en tant que critique mais en tant que récepteur. Toute interprétation est toutefois nécessairement inclusive, bien qu’elle se veuille objective. On prête forcément nos propres mots à la pensée du créateur, même si on s’empêche de lui imposer nos propres assertions, je dirais là que c’est le principe de la critique, nécessaire de surcroît. Quant à s’assumer soi-même (et c’est là aussi tout l’exercice de la critique), c’est assumer donc sa propre voix, et cela aussi pour ne pas s’enfermer dans une variante de l’objectivisme. « On ne se passe pas de juger les idées parce qu’on prétend en décrire le sens et la source » (idem). Le critique se prononce sur le plan du sens (et il explique pourquoi s’il ne le peut pas) et sur le plan éthique (les valeurs que l’œuvre accrédite) : il s’agit surtout de poser des questions plutôt que d’y répondre, d’ouvrir un débat qui pose la question de sa réception personnelle et celle d’une réception plus universelle, s’il en est. D’une certaine manière, cette démarche de recherche intérieure, de regard sur soi, sur ses propres émotions et le questionnement qui en résulte se rapprochent sans doute de la démarche du comédien qui s’interroge sur le texte ou la scène qu’il aborde : qu’est ce que cela me fait ? qu’est-ce que je vois ? comment le retranscrire ?
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