Les Français – Krzysztof Warlikowski
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. »
Par Pauline Remond
Entre Marcel Proust et Phèdre, « je sentis tout mon corps et transir et brûler ». Pendant près de 5h.
Loin de la petite madeleine et des jeunes filles en fleurs, Warlikowski nous propose un plongeon dans les fantasmes mêlés de l’auteur et du metteur en scène. Décadence, fuite du temps, antisémitisme, homosexualité sont les thèmes principaux abordés ici. Face à ce magma percutant qui absorbe la salle – comédiens/ performers comme spectateurs – dans une sorte de transe collective, se pose la question de la place du théâtre et de l’Art dans une société du début du XXe siècle.
Mise en mouvement par des acteurs troublant par leur sincérité et leur générosité, la nouvelle création de Warlikowski est avant tout monumentale pour son travail sur l’image et le son. Ce dernier, présent quasi en permanence, alterne entre des moments proches de l’assourdissement, des chants lyriques ou au contraire marqués par des accents et des cordes en live. Mais c’est peut-être finalement plus dans le monologue de Marcel, interprété lors de la scène inaugurale de la pièce par un acteur dont la physionomie rappelle celle de Warlikowski jeune, que le son saisit véritablement le spectateur. On voit l’acteur de dos, plongé dans une semi-obscurité – un climat presque mystique favorable à l’introspection – en train de déverser un flot de paroles ponctuées par un son martelé au rythme régulier qui donne alors toute la couleur au texte. L’imaginaire du spectateur est convoqué : le son donne à voir tout ce que ce dernier ne peut pas voir de la salle. Sa sensibilité sonore est brouillée et renouvelée en permanence.
L’écriture visuelle a quant à elle lieu en direct sous le regard du public, mais aussi des acteurs. L’image se construit et se déconstruit sans cesse par une superposition d’espaces successifs : des vidéos d’insectes, de baisers ou de champs sont projetées ; les comédiens sont filmés en direct selon des angles différents et sont retransmis sur les murs ; les changements de lumière sont vifs et radicaux et modifient, parfois selon un rythme effréné, les espaces….Mais ce que l’on retient par-dessus tout, c’est la silhouette finale de Rachel, ancienne prostituée devenue tragédienne – et dont la posture rappelle celle d’Isabelle Huppert. Elle rend ici les plus beaux vers de Phèdre en disant son amour impossible pour Hippolyte… ou en criant les amours contrariées de Proust.
Et c’est le noir. Les 4h30 de folies visuelles et sonores laissent alors place au silence. La tension collective retombe. Retour à la réalité. Les derniers alexandrins résonnent encore dans la salle. Et voici les applaudissements.
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