Le Cahier noir – Olivier Py
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. »
Par Vincent Breton
Érotiser le monde pour échapper à son assommante trivialité, à sa laideur et pour le transcender, ou davantage se transcender. C’est ainsi qu’Olivier Py motive son texte, écrit à 17 ans. Pris en comparaison d’autres dispositifs scéniques du metteur en scène, celui-ci fait mouche par sa simplicité : une faible jauge, du mobilier noir générique tel qu’on le trouve dans n’importe quelle salle de répétition, des rangées de projecteurs baignant le plateau dans une lumière blanche, et trois acteurs, dont un jouant Olivier Py, personnage principal de son propre roman. Des deux autres, l’un joue les fantasmes amoureux de Py à cet âge dans cette petite ville de province : un ami des parents, motard veuf, le « Prince » trouvé dans les égouts, et un architecte dominateur. Le deuxième joue l’ami de Py, celui qu’il trouve toujours si désespérément bas de plafond, grenouille de bénitier amoureuse d’Olivier.
C’est précisément pour cela qu’Olivier ne désire entretenir aucune relation d’aucune sorte avec lui. Convaincu, sans que cela soit un instant un objet de doute, de sa supériorité intellectuelle sur quiconque il rencontre, et plus encore de sa mission d’évangélisation à la poésie, Olivier cherche avidement celui qui lui infligera la domination physique, l’humiliation, la souillure, ce qui le dessaisira de sa responsabilité, en somme.
Le projet apparaît bien davantage comme un projet littéraire que théâtral, bien qu’il ne manque pas de comique, si l’on est sensible à la sophistication intellectuelle de l’auteur, aux blagues qu’il se fait à lui-même (comparer le motard prostré à un antique), et à la visite des arcanes de son esprit, dans lequel il nous invite d’une manière très maîtrisée.
On n’assiste pas, en effet, à un déversoir sentimentaliste. Le cahier noir de Py ne se rapproche en cela pas d’un journal intime. Py ne s’épanche pas, il s’adresse très directement au spectateur comme pour faire un étalage de son intelligence, une démonstration qu’il ne peut pas faire oralement au moment où il écrit, mais qui attendra patiemment d’avoir un public digne d’elle.
Concernant l’acteur qui porte ce texte – Émilien Diard-Detoeuf – il est à la mesure du maniérisme de l’écriture : intelligent, subtil, supérieur, ne s’abandonnant jamais vraiment parce qu’il a décidé de ne nous montrer qu’un pan très précis de lui-même. En outre, les moments de fantasmes sont joués mais toujours de cette façon intellectualisée. En cela, on ne voit jamais vraiment Olivier s’abandonner à ses fantasmes, comme s’il avait à chaque instant pleine conscience et emprise sur lui-même. Une ironie qui peut agacer si on se sent visé ou frustré si on attendait un peu plus d’émotion, mais qui autrement ne perd rien de la portée du texte, qui reste très narcissique.
Alors on sait pourquoi on vient voir ce spectacle : regarder par le trou de la serrure, être le dédoublement de la conscience d’un adolescent qui se veut à part, son spectateur, assez peu compatissant, mais il ne l’est pas avec lui-même. Soyons les témoins de cette distance à la limite du solipsisme qu’il impose entre lui et le reste du monde, sa manière juvénile provisoire de s’en protéger.
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