L’hôte – Zero Visibility Corp. / Ina Christel Johannessen
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. »
Par Vincent Breton
« Les villes y naissaient, brillaient, puis disparaissaient ; les hommes y passaient, s’aimaient ou se mordaient à la gorge, puis mouraient. Dans ce désert, personne, ni lui ni son hôte n’étaient rien. Et pourtant, hors de ce désert, ni l’un ni l’autre, Daru le savait, n’auraient pu vivre vraiment. » écrit Camus dans la nouvelle éponyme de ce spectacle, par la compagnie norvégienne déjà riche d’un catalogue d’une vingtaine de performances, dirigées par la chorégraphe Ina Christel Johannessen. Voilà qui donne le ton pour une prestation pour 10 danseurs qui prend à la fulgurance sa luminosité, sa violence et son insaisissabilité.
À l’instar de la fuite opérée par Daru, loin des questions morales et politiques que soulève l’accueil de cet hôte imposé, les danseurs fuient leur propre corps, leur propre espace, veulent à tout prix mettre en questionnement leur contour : où s’arrête mon corps, où commence celui de l’autre ? Peut-on nier l’existence de l’autre ? Peut-on nier sa propre existence corporelle dans l’espace extérieur qui est aussi l’espace intérieur ? Comment s’étendre et vibrer autrement que par une définition statique, anatomique, encéphalique ? Repenser une topologie non plus tridimensionnelle mais cinétique, kinétique diront les danseurs, abolir les frontières en prenant cruellement conscience de leur existence.
Luminosité. Nous sommes dans un désert, chaud. Cintres peuplés de dizaines de PAR et d’horiziodes répondant en motifs aux motifs du tapis de danse d’azulejos jaunes et bleus. Motifs blancs, écrasants, à faible distance du sol. Une scénographie basse de plafond pour une agitation maximale, loi des gaz parfaits : plus le volume est réduit, plus la température et la pression sont élevées. Public en quadrifrontal, le nez collé, non, plongé dans ce four à céramique, pas seulement le nez, le corps entier, aspiré, frôlé, abruti par le vent la vitesse l’ivresse de mouvement les ventricules qui palpitent jusqu’aux pupilles dilatées et hypersensibilisées à la lumière. Toujours cette lumière aveuglante qui répond aux tensions animales, organiques, qui lacèrent les silences du rituel.
Insaisissable. Choeur antique pour coeurs humains, rituels mécaniques de la dépense de l’excédent d’énergie, qui ne provient pas d’une accumulation paresseuse de douces et paisibles nuits mais qui est produite en direct par la friction, par ce questionnement on ne peut plus existentiel : qu’est-ce que je fais de mes cheveux ? de cette tête horriblement perchée dirigée lorsqu’elle doit accepter la liquéfaction, l’absentéisme répondant à la brutalité d’un regard étranger ? Alors je quitte le monde, je quitte le groupe je m’extrais à la torpeur paralysante d’un mouvement qui n’est plus le mien, je reviens à moi, à ce que je crois avoir de moi, je m’explore, je vais rechercher ce que j’ai que l’autre efface, ou révèle, et je viens le leur redonner.
Re-donner, res-sentir, re-joindre. C’est l’objet du deuxième acte du spectacle, qui laisse le territoire abstrait pour ouvrir la baie vitrée sur la Manche, et les bourrasques force 8 qui nous laissent les cheveux poisseux de sel, sel de la sueur de l’autre auquel on veut donner son mouvement, sa vie sans la mort, enfin sa vie parce qu’elle est vie, peut importe ce qu’elle est autre qu’existence, présence, sensations d’une pesanteur sans gravité ou avec gravité, asexuée parce qu’omnisexuelle. Je est une communauté, je sont les ensembles de nature différentes : là d’où l’on vient, là où l’on va, là où l’on est, la respiration dans l’échine, les premières vertèbres et les lèvres gonflées, et les bras gonflés poitrine respirante.
Un cri.
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