DJ set (sur)écoute et Shock Corridor : Mathieu Bauer et le rythme du théâtre
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. »
Par Ivan Márquez
Directeur du Centre Dramatique National de Montreuil depuis 2012, Mathieu Bauer présente en cette saison 2016-2017 deux créations qui continuent son travail d’exploration autour du pouvoir narratif du théâtre et de la musique. D’une part, le spectacle DJ Set (sur)écoute a été présenté pour la première fois en décembre 2016 dans le cadre du festival Mesure pour Mesure dédié au théâtre musical. Sorte de concert-conférence théâtralisée, ce spectacle adresse de grandes questions philosophiques, sociales et artistiques sur la musique et sur l’écoute au sens large. En puisant dans des textes théoriques et poétiques d’auteurs aussi variés que Peter Sandy, T. A. Adorno, Nietzche, ou Luigi Russolo ; et des références musicales allant de Purcell à Stromae, Mathieu Bauer poursuit son travail entamé avec Please Kill Me et The Haunting Melody : celui de faire de la musique le protagoniste et de lui donner une consistance scénique.
Shock Corridor est né d’une autre veine. Travail effectué dans le cadre de l’école du TNS avec la promotion sortante en 2016, ce spectacle reprend le script du film éponyme de Samuel Fuller et met en scène une troupe de douze jeunes comédiennes et comédiens. Cela représente un grand changement par rapport aux artistes avec qui Mathieu Bauer a l’habitude de travailler, et donc un changement dans l’utilisation de voix narratrices. Ce spectacle, contrairement à DJ Set (sur)écoute, est une fiction, une narration qui se déroule dans un hôpital psychiatrique des années 60 aux États Unis. Mais dans Shock Corridor, comme dans ses spectacles précédents, on retrouve une frontalité envers le spectateur pour commenter, enrichir ou décaler l’action scénique avec des références théoriques ou historiques. Ici Bauer évoque, par exemple, Caractères – Moindres lumières à Hollywood de Philippe Garnier qui parle des rôles de second plan au cinéma.
La fonction de la musique, signature particulière de Mathieu Bauer, est elle aussi différente dans les deux spectacles. Pour Shock Corridor, bien que très présente sur scène, la musique est moins élément dramatique en soi, qu’un appui rythmique pour l’ensemble du spectacle. A contrario, dans DJ Set (sur)écoute), il y a une certaine virtuosité à superposer le discours sur la musique : Bauer arrive à parler de musicologie au plateau au même temps qu’il fait exister la musique en elle-même. Le risque, serait de tomber dans l’illustration de ce que l’on dit, ou inversement dans le commentaire de ce que l’on écoute. Or, ce piège est habilement évité par une communion équilibrée entre les comédien(ne)s (Kate Strong et Mathieas Girbig) et les musiciens (Mathieu Bauer et Sylvain Chartigny) reliés par la comédienne, chanteuse lyrique et musicienne Pauline Sikirdji. La musique est donc mise au même plan que le texte ; le jeu des musiciens est tout aussi énergique et présent que celui des comédien(ne)s.
En tant qu’élève en formation et en questionnement sur la composition scénique, c’est la complémentarité entre le jeu d’acteur et la musique qui m’intéresse : bien que la musique soit un excellent moyen de rythmer l’action scénique et de donner une « température », comment faire en sorte pour que le texte soit entendu (avec ses enjeux et sa poésie) et ne soit pas obscurci par la musique ? Comment ne pas faire de l’utilisation de la musique un simple système répétitif ? A partir de mon observation des pièces de Mathieu Bauer, je tente une liste (non exhaustive) de quelques fonctions et préceptes de la musique –et plus largement du monde sonore- sur le plateau.
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Premièrement, si la musique occupe une place importante sur scène, il m’a semblé préférable de faire exister les sources des sons. Il ne s’agit pas simplement de jouer en live, mais aussi d’éviter les diffusions omniprésentes « tombées du ciel ». Ainsi, dans DJ Set (sur)écoute, même les voix off sont diffusées depuis des platines contrôlées par les comédiens. Les sons sont donc le résultat direct et visible d’une action scénique.
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Deuxièmement, la musique peut jouer la même fonction qu’une image projetée sur scène. La musique peut facilement transporter le spectateur ailleurs ou évoquer une ambiance de manière plus immédiate que le texte. Aussi, tout comme les images, il est possible de créer un décalage entre l’action scénique et la musique (ce qui peut être une ressource comique ou inviter à une réflexion en complexifiant la lecture de ce qui est présenté).
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Comme l’indique Daniel Deshays [Écritures sonores, le son en jeu : enjeux du son, conférence du lundi 13 juin au Théâtre de l’Odéon], il faut éviter la sur-présence d’effets sonores qui ont pour but d’illustrer : imiter le pouvoir discriminateur de l’ouïe qui efface les sons auxquels nous ne prêtons pas d’importance. De la même manière, les sons ne peuvent entrer tous au même moment, mais ils doivent être découverts par le spectateur au fur et à mesure.
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Finalement, la musique peut ajouter des couches de sens au texte, ou faire des parenthèses de silence pour faire ressortir une parole ou un propos. L’accumulation de sons ou les silences sont amplifiés par la musique, créant des contrastes plus importants et des rythmes plus marqués. Pour le spectateur, il est donc plus facile de rassembler son attention aux moments importants.
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