Gala-Jérôme Bel
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. »
Par Vincent Breton
Des danseurs amateurs au plateau pour questionner les hiérarchies en art et reposer le problème de « l’égalité des intelligences » de Jacques Rancière dans Le maître ignorant. Fondement : le désir de se produire, plus que celui de bien danser. Être devant une assemblée dans un gala de danse, idée du spectacle professionnel pour les amateurs.
Dans la forme, des exercices : pirouettes de ballet, grand jeté, salut, valse, moonwalk, solo… et chacun devant y passer avec son idée de la chose. Et on se rend compte d’un savoir commun. La question posée par Jérôme Bel est : quelqu’un qui danse mal, n’est-ce pas quand même de la danse ? N’y a-t-il pas une expressivité propre à ce corps qui est digne d’intérêt, malgré qu’elle ne souscrive pas aux critères esthétiques et aux exigences artistiques qui régissent la création ?
La réponse semble évidente lorsqu’on voit entrer tous ces corps, qui se confrontent avec la plus honnête fragilité aux préjugés qu’on ne peut que leur appliquer. À chaque corps une histoire, une représentation de soi, une conscience de la chose produite qui ne va pas sans une certaine vanité, qui, puisqu’elle est l’objet même du travail de Bel, passe encore comme un objet réflexif.
Je me dis : j’aurais beau développer une maîtrise toujours plus grande de formes variées, essayer d’être au présent et d’ignorer ce que je produis, être dans la pure découverte de cet instant, restera toujours au fond cette vanité qui me fait monter sur un plateau et exiger — conquérir — les regards.
On pourrait regretter un côté un peu explicatif : oui on a compris, on est tous égaux, à bas le diktat de la forme etc, si en réalité cette forme minimale ne servait pas si bien un fond qui se nourrit en permanence, au présent, de ce qu’apportent les danseurs. Des hommes, des qualités des défauts des idées sur eux-mêmes et les autres.
Mais surtout des tentatives sincères d’être au bon endroit. Ne pas abandonner. C’est possible, il suffit de sincèrement essayer, d’y croire et de foncer sans questionner le fond, car le fond est la tentative, la réalité devient subjective, et peu importe la réalité objective ! Ne sommes-nous pas tous des sujets ? Individus multiples sensibles à l’art mais surtout sensibles à nous-mêmes alors pourquoi ne pas s’émerveiller sur l’expressivité non provoquée, celle qu’on ne maîtrise pas, celle qu’on apporte avec soi où que l’on aille, lorsqu’on a envie d’être quelqu’un et qu’on voit quelqu’un d’autre, et accepter de regarder et d’être regardé pour ce qu’on est, dans toutes les contradictions que cela peut induire.
Ne nous excusons pas d’être humains.
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