Affordable solution for better living – Théo Mercier et Steven Michel
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. » Par Mathilde Levallois.
Est présentée actuellement au théâtre de Nanterre Amandiers la création Affordable solution for better living, conceptualisée et mise en scène par l’artiste plasticien Théo Mercier et le chorégraphe Steven Michel.
Dans la ligne esthétique du metteur en scène bob Wilson, tant dans le concept de considérer l’espace scénique comme un espace mental, imaginaire, que dans le souci d’instaurer une esthétique paysagère où les matières techniques et organiques sont prioritaires par rapport à la fable, Théo Mercier crée une forme scénographique où le son et la lumière corrèlent et s’imbriquent dans l’organicité du corps de Steven Michel, afin de raconter l’espace domestique idéalisé par certaines puissances industrielles auprès du consommateur, à l’instar d’Ikéa.
Dans l’intention d’interroger la question du corps standardisé au travers d’un chez-soi parfaitement harmonieux et glacial, qui se fissure peu à peu et tend vers son antagonisme chaotique à la fin de la pièce, les artistes soumettent au delà de ça, la question des deux « peaux » que nous avons tous : la première, (et elle symbolise la première partie du spectacle) – étant comme un packaging de qualité, est celle que nous essayons d’embellir et de lisser constamment afin de mieux se vendre. La deuxième, (qui nous conduit à la deuxième partie de la pièce), plus humaine, est faite de sang, de nerfs et d’os, elle est imparfaite, et a sa part d’obscurité.
Cette binarité est utilisée tant dans le fond que dans la forme. Ainsi les éléments techniques corps, son, lumière servent ce mouvement de dépouillement progressif de l’être.
Le corps
Grand danseur, Steven Michel démontre que le corps est avant tout un outil technique qui corrèle et réagit avec les autres techniques du spectacle (la lumière et le son). Dans la première partie du spectacle, le corps crée des formes parfaites, précises, se déplace en ligne droite, un peu comme une machine. Il travaille sur une déshumanisation du corps – puisqu’il est dépouillé de tout défaut ou gestes parasites – afin de démontrer la surface propre et lisse de l’individu conforme, le corps que notre société moderne nous pousse à adopter. Le costume est une combinaison en caoutchouc représentant un corps masculin bodybuildé, en caleçon de sport ; le corps que nous devrions avoir. A partir du moment où les meubles prennent l’espace sur le plateau, Steven Michel se débarrasse de sa première peau, parfaite, pour laisser vivre le second costume ; une combinaison en tissu recouvrant et moulant tout son corps, dont l’imprimé représente les muscles, les vaisseaux sanguins, le squelette humain. On laisse ainsi place au sang, et à ce qui semble non conforme pour la vision collective. Steven Michel modifie peu à peu les mouvements de son corps et évolue dans une gestuelle plus inquiétante et angoissante, ou les tremblements et les formes hybrides du corps se multiplient, en fonction des jeux d’ombre que la lumière propose. Tout le long, les gestes et mouvements sont habités et organiques, l’état dans lequel se trouve le danseur au fil du temps se veut plus fort et sincère, il vibre tellement que la catharsis ne peut que s’opérer.
La lumière
La scénographie lumineuse, créée par Eric Soyer est un personnage à part entière. L’espace scénique, un rectangle blanc pratiquement nu au départ, est éclairé par une lumière très blanche, ce qui donne à l’espace un caractère clinique, froid, hygiénique. Ce blanc reflète le blanc des meubles Ikéa, et le corps de Steven Michel en émane de plus belle. La lumière blanche est comme la surface, en miroir, de ce corps parfait de l’homme. Petit à petit, la lumière se caractérise, et à partir du moment où le corps se débarrasse de sa première peau, apparaissent sur le rectangle de jeu, un clair-obscur plus défini, des jeux d’ombres, ainsi que des tons plus chauds. La scène « s’auto-illumine » grâce à la lampe Ikéa. La lumière est donc extérieure et intérieure, elle donne du jeu à Steven Michel, qui crée avec elle des espaces-temps dans l’imaginaire du spectateur. La lumière laisse également place à l’obscurité, soulignant l’espace mental du protagoniste, qui devient de plus en plus sombre et angoissé, autant que le corps qui, sur scène, devient de plus en plus imparfait, imprécis, tordu et animal, jusqu’à l’acmé de la souffrance ; par à-coups lumineux de plus en plus épileptiques de la part d’un puissant stroboscope, le corps se déchaîne, perd son humanité, agonise ; le chaos de l’âme est ainsi sublimé.
Le son
Le son a plusieurs rôles, il alterne entre voix off, musique et bruitages. Il est avant tout la voix du corps sur scène (un monologue intérieur), mais aussi la voix froide, « googlelisée » de la notice ikéa pendant le montage de la bibliothèque, les différents bruits nous immergeant dans l’univers, (bruits de nature, des oiseaux, du tonnerre, du feu qi crépite, de la mer… selon les réminiscences du héros),et la musique, au service de l’état que le « corps héros » traverse. Toujours pour souligner les deux parties distinctesde l’histoire, – d’une construction parfaite, idéale mais insondable, à une destruction chaotique, véritable – la voix off se pose de plus en plus de questions dans son monologue intérieur, le rythme et l’intonation s’accélèrent. C’est ainsi que le spectateur a, petit à petit, accès à l’âme de l’homme, qui se révèle par l’affabulation de ses souvenirs d’enfance. Plus le monologue intérieur s’intègre dans l’espace, plus le mouvement de la pensée prend une autre direction, comme le mouvement du corps. Une direction dérangeante, puisque l’intention est de montrer la vérité du mal-être humain en opposition au bien-être mensonger que le monde industrielle, de consommation de masse, utilise comme premier argument. C’est en ponctuant par un son assourdissant de crépitement qui accompagne les clignotements du stroboscope et les spasmes du corps devenu animal que se termine ce spectacle.
Le message de fond du spectacle, qui explicite notre tendance à devenir des produits consommables, enveloppés séparément dans un beau packaging, résonne en sonnette d’alarme dans notre conscience de comédien en devenir et en formation au LFTP. Dans une recherche constante de vérité et d’authenticité, nous essayons tant bien que mal de comprendre le sens de ce qu’est de faire groupe, d’être une communauté, – dans le sens noble du terme – en défiant ainsi toute tentation à l’individuation distillée par la société, par notre corps, notre bruit, notre lumière.
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