40° sous zéro – Munstrum Théâtre
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. » Par Gurvan Grall
Du 20 au 30 Novembre jouait au Monfort la dernière création du Munstrum Théâtre : 40° sous zéro. Après avoir présenté la saison dernière Le Chien, la Nuit et le Couteau, la compagnie menée par Louis Arène et Lionel Lingelser revient avec son nouveau spectacle, un diptyque regroupant deux textes de Copi : L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer et Les quatre jumelles.
40° sous zéro, titre fédérateur choisi par le Munstrum, traduit bien la température de la création. Dans une atmosphère post-apocalyptique, tantôt en Sibérie tantôt en Alaska, les acteurs du Munstrum évoluent dans des conditions extrêmes et cherchent à vivre et survivre.
Ce qui frappe en premier lieu ce sont les costumes. Conçus par le couturier Christian Lacroix avec des coiffes imaginées par Véronique Soulier-Nguyen, ils font irradier les personnages déjà transformés par les masques (une esthétique propre au Munstrum présente dans leurs autres spectacles). Depuis les patins à glaces, après-ski, sandales japonaises et raquettes jusques aux coiffes montées en canettes ou en boules de Noël et chapeau élégant en enjoliveur bombé, les silhouettes sont sculptées et donnent à voir des corps fantastiques qui perdent souvent leurs contours humanoïdes pour devenir géants, animaux ou purs monstres.
Le cadre scénique lui aussi est particulier, bien que d’apparence simple de prime abord. Les acteurs jouent sur un plateau surélevé d’une dizaine de centimètres, une scène sur la scène accentuant le métathéâtre. Les pendrillons à jardin et cour sont d’un gris poussiéreux assorti à la toile de fond et une perche de cycliodes surplombe le plateau depuis le lointain en écrasant au départ l’action d’une lumière blafarde. Tout paraît au début du spectacle de bric et broc comme si cela pouvait s’effondrer à tout moment.
Et en effet tout s’effondre. Les acteurs sont de véritables machines de destruction. Ça gicle, ça arrache, ça fouette, coupe, plante et éclate dans une tempête hurlante. L’escalade de la violence et du grotesque est croissante jusqu’au tableau final. Usant de toutes les techniques de théâtre, ils convoquent intelligemment le spectateur et l’entraîne dans leur transe sans le perdre un seul instant.
Car même si les tableaux qui s’enchaînent deviennent de plus en plus absurdes, ils sont aussi ponctués de bulles où le spectateur est touché par une forme de beauté inattendue.
L’escalade trouve son apogée à la fin de la deuxième partie, Les quatre jumelles, lorsque toutes meurent et ressuscitent en cascade. Tout s’emballe et pourtant les corps restent absolument précis. Ainsi les acteurs arrivent, au milieu de cette apothéose jubilatoire, à nous atteindre dans la vérité de l’instant, comme si l’énième mort d’un des rôles était la première, la seule, et que la vie allait le quitter pour de bon.
Rare sont les compagnies convoquant le public sur toute la longueur d’un spectacle avec une telle intensité et rares sont les salles qui restent froides face à 40° sous zéro. Le Munstrum affirme ici un théâtre explosif, un théâtre de l’extrême qui reconnecte entièrement avec la notion d’art vivant. Don total des acteurs et folie contaminatrice qui, à la fin, ne laisse personne indifférent.
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