Le Grand Inquisiteur – Creuzevault
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. » Par Lorenzo Antoniucci
Dans notre Laboratoire nous nous questionnons sur le théâtre de demain, et ce présent de multiples crises ne fait que renforcer nos réflexions. Le Grand Inquisiteur est une création née de ce contexte. En effet, le metteur-en-scène Sylvain Creuzevault dit ouvertement dans la note au spectateur que cette pièce fait partie d’une création plus grande tirée des Frères Karamazov de Dostoïevski, et que, touché par la situation sanitaire, il en a voulu faire une oeuvre à part entière pour parler de, et à, l’actualité. Pour cela, il met en place un système où la fable est continuellement interrompue par l’irruption de personnages qui bouleversent, commentent et critiquent à la fois la scène et le spectateur.
La volonté artistique et la nécessité politique de Creuzevault sont claires et il emploie toute la magie technique du théâtre pour les mettre en place. Cependant, on en sort avec des questionnements bien faibles. Cela est peut être dû au manque d’équilibre entre un système très fort, et une fable qui n’arrive pas à s’en extirper : on assiste à un défilé de monologues sur l’humanité, sur le pouvoir ou encore sur Dieu. Ces manifestes s’entassent les uns sur les autres et le spectateur est bombardé de mots et de concepts qu’il n’a pas le temps d’assimiler ; faire le lien entre les différentes pensées devient alors presqu’impossible. En fait, la fable se perd car la dramaturgie d’origine, qui est celle de Dostoïeveski, semble avoir été complètement éludée dans le processus de création. On dirait que Creuzevault a préféré s’éparpiller en discours certes touchants, mais déjà bien connus.
On a l’impression d’une recette facile et fort bienvenue par le spectateur moyen – et moyennement politisé – de l’Odéon : on adhère aux réflexions de Müller sur le pouvoir, de Marx sur la révolution et même à la détresse humaine de Trump, mais qu’en fait-on ? Car ce sont les mêmes constats que l’on entend partout. Ce qui ressemble aux réflexions sociales et politiques d’un diner de famille mettent le spectateur dans la confortable position de celui qui est d’accord avec la critique des choses. C’est effectivement fort agréable de se dire tous ensemble qu’on est « contre », et après le spectacle on peut rentrer chez nous en Uber avec le sentiment d’avoir participé à la lutte des classes.
La véritable question se pose alors : celle de l’action. Sans une action – politique et dramaturgique – qui suit la pensée, à quoi bon ? Cela paraît aussi utile que les passage piétons arc-en-ciel pour sensibiliser à la cause LGBT+…
« Tout ce qui importe aux spectateurs dans ces salles, c’est de pouvoir échanger un monde plein de contradictions contre un monde harmonieux, un monde pas spécialement connu contre un monde rêvable. »
Bertolt Brecht, Petit Organon pour le théâtre (1949)
Un théâtre politique ne peut qu’avoir une voix frontale et univoque? Devons nous prendre position à la place du spectateur ou présenter des situation où le spectateur peut prendre place et penser?
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