Interview – Lionel Lingelser – Munstrum Théâtre
« interview menée par le directeur du lftp, Maxime Franzetti / reportée par Elisa Dubreuil »
Maxime: Tout d’abord on va commencer par ton arrivée au théâtre, d’où tu viens et quel a été ton parcours et après on ira vers ta compagnie.
Lionel : J’ai grandi en Alsace à Mulhouse et j’ai commencé le théâtre en CM2. Après mon bac j’ai été aux Cours Florent, puis je suis rentré en classe libre, ce qui m’a permis de bien préparer le concours d’entrée au CNSAD. Mais aux jeunes gens qui présentent les concours je dis souvent que si on a pas fait le conservatoire cela n’est en rien décisif. Tous les chemins sont honorables parce que la vie est faite d’ heureux hasards. Il y a une route qui est la vôtre. Je constate qu’il y a des gens qui ont fait les écoles avec moi et qui ne travaillent pas et d’ autres qui n’en ont pas fait et qui travaillent magnifiquement.
C’est votre chemin qui compte, c’est important de se le répéter quand ça ne va pas, vous avez votre singularité. Je me souviendrai toujours de mon premier jour à Florent, le prof avait commencé en disant « bonjour bienvenue à paris, bienvenue au cours Florent, le métier n’ a pas besoin de vous ». Je me souviens à la pause, mes camarades étaient furieux et moi intérieurement je me disais « mais si, en fait, le métier a besoin de moi !» ; parce que j’avais conscience d’être unique et de ce fait j’avais ma place dans ce monde.
Rien ne sert de gaspiller du temps à se comparer. Vous êtes uniques! Essayer de se réjouir le plus possible pour le chemin de chacune et chacun, c’est ce qui a de plus beau et ça se ressent chez vous. Il y a trop de gens malheureux devant leurs ordis ou dans des bureaux, nous on a la chance… on peut changer le monde.
Gardez cette force qui vous a animé pour arriver jusqu’ici et utilisez-la pour continuer. Vous êtes déjà des théâtreux, vous êtes foutus!(rire)
M: Comment toi tu as compris que le théâtre c’est pas que du vers mais aussi du corps ?
L: En Alsace j’ai fait du basket pendant dix ans et sport-études au lycée, j’ai toujours aimé l’ effort sportif, bouger, tout donner et c’est toujours ce qui m’ anime, d’où le théâtre physique. A Florent j’ai appris l’amour des textes, je sortais alors d’un bac scientifique, je découvrais un monde. Puis au conservatoire sont arrivés les cours de masque neutre, de masque expressif et aussi du clown. J’aimais ces cours car ils étaient axés sur la rigueur du corps. D’autres cours s’adressaient au cerveau, tout était là-haut quoi (dans la tête)! Cela pouvait m’ennuyer profondément quand le corps était délaissé, quand le corps ne vivait rien et que le travail restait mental. Sauf le cours d’histoire du théâtre que j’adorais…
Depuis que j’ai commencé ce métier la question du cérébral revient très souvent. C’est comme si on devait faire un choix : un spectacle de texte ou un spectacle de corps? Je pense que c’ est aussi culturel. Tu vas au Brésil par exemple c’est l’inverse… tu danses les mots!
Pour ma part j’avais besoin au théâtre de retrouver ce dépassement que j’avais pu éprouver dans le sport, ce qui me manquait c’était la troisième mi-temps, quand l’envie de vomir te prend et que tu n’en peux plus (rires). Et qui dit masque dit respiration et écoute, qui dit masque dit cadre donc règles, le tout saupoudrer d’une touche de fantaisie… les bases du théâtre quoi!
(À un élève) Tout à l’heure nous parlions de l’écoute/commentaire/réaction. Dès que Maxime te l’a fait remarquer tu l’as fait sans réfléchir et ça a marché, on a rigolé! Koltès faut le jouer organiquement avec les tripes, Faut que ça bouillonne! Parfois on se demande quoi faire et il n’y a rien à faire.
Moi je m’en suis remis au corps, c’ est lui mon meilleur ami, certains ont des pianos moi j’ai mon corps. C’est mon outil quoi!
Trouver un endroit où ça vibre chez vous, comment travailler cet instrument c’est ça l’important pour vous.
Donc le corps… se relier à quelqu’un d’autre et en même temps à son soi le plus profond grâce au travail masqué. Pour ma part j’en avais assez de jouer les jeunes premiers, je voulais jouer « des méchants ». Je voulais être déplacé, n’être pas cantonné qu’à mon physique. Travailler des personnages « loin de moi » me demandait un effort considérable et me procurait un plaisir dément ; quand je sortais de ces scènes j’étais en nage, épuisé, alors je me disais « ça c’est pour moi!(rire) redevenir un enfant sans que personne ne me reconnaisse! » Le masque m’a beaucoup aidé à lâcher mon mental.
M : tu penses que si tu n’as pas une fine couche sur toi qui fait masque c’est dur de se dire qu’on a quand même un outil? Parce que dans les Possédés…
L : Dans mon trajet personnel le masque a été une vraie révélation. J’ avais besoin de me cacher pour trouver de la liberté. Pour « les Possédés » je voulais qui y ait un masque dans la même matière que ceux du Munstrum, mais ça ne marchait pas alors un jour j’ ai fait « sans », j’ai posé mes mains sur le visage, écarté mes doigts et j’avais trouvé le masque du spectacle.
Lecoq dit qu’« un grand acteur est forcément passé par le masque ».
Je comprends cette phrase dans le sens où l’acteur se regarde tellement faire, c’est souvent son ego qui influence son jeu. Le masque demande une humilité et la tricherie n’a pas sa place…c’est pour du faux mais l’acteur.ice est à 100%!
M: Qui dit masque, dit training, entraînement… Comment tu gères cette part de préparation avec la compagnie, c’est quoi votre training ?
L : C’est important de se le redire mais avant le masque, il y a le travail du corps. Ca me choque toujours quand je vois des corps mous sur un plateau…c’est souvent là que je vois des cerveaux sur pattes(rires).
Le masque demande une attitude, une tenue. Ouvrir grand les yeux, réveiller toutes les parties du corps, réactiver « LA FLAMME » passent inévitablement par le training pour avoir conscience de son énergie qui circule. Cette même énergie élève l’énergie du plateau dès qu’on entre en scène, on passe alors du corps quotidien au corps extraordinaire.
« LA FLAMME » est devenue pour moi une vraie notion sur laquelle j’articule ma pédagogie. Il s’agit donc par des exercices de travailler ce corps extraordinaire : la compression de l’espace, les forces contraires, la géographie du corps et ses limites, la bulle et le niveau « du personnage, les grands yeux, le chœur/coryphée etc…
Aujourd’hui nous pratiquons moins les trainings super physiques appris chez Porras ou Suzuki pour préférer des enchainements de Yoga. Le Yoga n’est pas plus tranquille mais il ajoute au renforcement musculaire, une conscience plus accrue de la respiration et le calme intérieur nécessaire.
M : Quand vous créez un spectacle, ce sont des idées réfléchies à l’avance ou ce sont des propositions collectives, des propositions des acteurs ?
L: Il n’y a pas vraiment de règles. Pour la première création « L’Ascension de Jipé » nous avions envie d’écrire, ce fût laborieux alors pour le deuxième spectacle nous nous sommes tournés vers un auteur : Mayenburg et ce fût une magnifique rencontre avec notre univers. Comme le résultat était très noir et axé sur la peur nous avons ensuite voulu expérimenter un théâtre grandiloquent et joyeux, trouver davantage de joie, faire rire les spectateurs d’où notre choix de monter deux pièces de Copi qu’on a baptisé « 40 degrés sous zéro ». Puis re-plongeon dans une écriture collective, heureuse avec les clowns, moins heureuse avec Zypher Z…on apprend des leçons et on essaie d’explorer des zones inconnues. Dans un second temps les propositions des acteur.ice.s sont au cœur des répétitions. Nous improvisons beaucoup. On se trompe, on avance, on construit avec les accidents…rien n’est grave on accepte de dérouler un fil dans la nuit…
M : Tu parles d’accidents mais tu ne le crées pas quand tu joues devant des spectateurs ?
L: Non pas quand on joue, là on parle du laboratoire. Au plateau il y a déjà suffisamment de choses compliquées avec la machinerie et les effets, il n’y alors plus beaucoup de place pour le hasard. Par exemple dans « Zypher Z », la scène dans la cabine on dirait que je joue mais non je suis en train de maudire ce que je suis en train de faire parce que j’ai de l’eau partout dans la combi c’est hyper technique et contraignant. J’ai commencé à prendre plaisir à la 20ème seulement…
M: La compagnie a 10 ans, 10 ans de recherche, de choix et une patte esthétique. Comment vous traitez l’esthétisme dans vos créations ?
L : Jeunes comédiens nous avons été séduits par Pippo Delbono puis plus tard par Castellucci avec de véritables chocs visuels. On rêvait d’un théâtre visuel, sensitif et puissant! Nos obsessions sur les mondes d’après nous ont ouvert un champ des possibles sur la question du théâtre de demain, sur la question de la récupération de décor et matériau, sur l’artisanat au plateau.
M : L’’esthétique d’un spectacle ? comment naît-il ?
L: Chaque spectacle a sa propre identité. L’objet masqué évidemment donne une couleur qui va teinter l’univers et soutient nos rêves de grands écarts dans les propositions. Le masque c’est le premier décor, le reste vient de se greffer. Au début des répétitions il y un collant sur la tête, on commence par annuler le visage comme le plateau qui est nu. Puis on amène une grande malle de costumes, d’accessoires et l’univers surgit grâce aux créateurs présents sur les répétions qui rebondissent immédiatement par de nouvelles propositions. Finalement c’est un travail très intuitif. Mais j’oublie de dire qu’en amont Louis collecte énormément de matière visuelle, sur internet notamment, et les partage à toute l’équipe pour rêver ensemble de ce que ça pourrait être.
M: Un peu de négatif cette fois : dans la compagnie quand vous êtes bloqués, il se passe quoi?
L : C’est l’enfer. Y a un truc génial, c’est la nuit! Après une nuit de sommeil, quand on y retourne le lendemain un déclic peut arriver. Et quand on reste bloqués, ma foi…on peut y passer beaucoup de temps, parfois il faut savoir mettre de côté et y revenir plus tard. Mais il existe plusieurs manières, on peut aussi aller au bout, épuiser une scène, la fatigue peut aboutir à quelque chose… Exemple, la scène des robots, ça a été un nœud terrible. On était perdus… on a essayé des tonnes de petites choses mais ça ne donnait rien. Le déclic, c’était quand les créateurs et techniciens ne regardaient plus. Et on leur lance : » ça vous intéresse pas ce qu’on fait? » et ils répondirent « franchement…c’est nul, c’est pourri! ce que vous faites n’a aucun intérêt ». On a pris une pause, on a discuté avec eux, ils nous ont vraiment donné l’impulse, sans eux, on n’aurait pas réussi. L’improvisation a pris, on a mis le décor sens dessus dessous et c’est devenu un truc foutraque comme nous l’avions imaginé! Vive le collectif!
M : avec « Les Possédés d’Illfurth » qu’est-ce que tu peux nous dire de l’intention ? Pourquoi ?
L : Tout bêtement, les possédés c’est une commande du directeur de la Filature. Il m’a dit « il faut une forme qui peut aller dans les villages… » A partir de ça j’ai réfléchi, on sortait de Copi, j’ai regardé le monologue de Loretta Strong, lui m’a dit « oh bof, tu viens d’Alsace t’as pas quelque chose du coin sur le thème de l’étrange? ». J’avais cette histoire de possession qui avait hanté mon enfance. J’ai ensuite fait appel à Yann Verburgh, auteur génial, avec qui je rêvais de collaborer. Et c’est parti comme ça! L’histoire de ces deux petits garçons illfurthois possédés par le diable, mêlés à mes propres démons…c’est un véritable cadeau que je me suis fait, un spectacle que j’attendais depuis longtemps. Grâce à ce seul en scène j’ai pu réaliser un rêve de solo, revenir à l’artisanat au plateau, sans masque, sans décor avec l’imaginaire du spectateur comme partenaire.
M :Tu vas jouer ce monologue jusqu’à la fin de ta vie ?
L : (rires) Oui j’espère le jouer longtemps.
M : Vous allez rejouer encore vos spectacles ? Vous voulez trouver le répertoire d’une compagnie ?
L: Oui on va rejouer 40° sous zéro à partir de l’automne 23, c’est important pour nous que les œuvres continuent de circuler.
M : Y a quand même des metteurs avec qui tu veux travailler, ou tu as abandonné l’idée ?
L : Je suis un grand admirateur des spectacles de Castellucci ou Pommerat par exemple mais est-ce que j’aimerais être sur scène avec eux? non je ne crois pas… je suis si heureux d’y assister. On doit aussi aimer être spectateur. Et puis je m’amuse beaucoup chez moi, quand je m’amuserais plus… on verra bien!
M : Et le cinéma ?
L : En ce moment j’assiste à une incompatibilité d’agenda avec le théâtre. Nous sommes actuellement en train de poser des dates pour dans deux voir trois saisons…comment anticiper le cinéma, c’est quasi impossible. Le cinéma c’est un casting et si ça le fait ça commence demain, il faut être libre rapidement… mais je ne désespère pas. Parfois je pense à un acteur Jacques Gamblin. Lui fait 6 mois de théâtre/6 mois de cinéma. Je suis admiratif de ça, quelle expérience ça doit être de passer de 500 entrées par soirs à des millions en changeant de médias tous les 6 mois.
M : Tu penses pas que la compagnie peut faire des films?
L: Cette idée nous trotte oui…
M : t’es un peu critique sur le cinéma du jour?
L : Oui je m’ennuie souvent au cinéma. J’adore le cinéma américain, ils ont mis la barre haute mais même eux je trouve qu’ils tournent un peu en boucle aujourd’hui…c’est toujours les mêmes histoires. En France j’adore le cinéma de Yann Gonzalez par exemple « Les rencontres d’après minuit ». C’est très théâtral. Et le cinéma belge aussi que je trouve drôle et bouleversant.
M : On va aller maintenant sur les questions des lftpiens:
Paul : Quel est ton lien avec Philippe Caubère, quelle est son influence ?
L : Philippe Caubère, je l’ai découvert petit dans « La Gloire de mon père » et « Le Château de ma mère », ça me faisait rire et rêver! Je n’imaginais pas alors qu’il deviendrait pour moi un mentor. Quand je suis arrivé à paris j’ai rencontré Louis Arène et il m’a fait découvrir Philippe Caubère au théâtre et là ce fût un choc.
M : c’était l’âge d’or
L : Oui exactement et je me suis dit c’est ça le théâtre, il y a 40 personnes au plateau mais il est tout seul pour les incarner. Il est rentré chez Mnouchkine, et a été distribué dans les plus grands rôles et dans le film de « Molière ». Et de son départ de la Cartoucherie, il en a créé une épopée théâtrale. Ca m’a bouleversé, je me suis senti faire partie de cette famille de théâtre, j’ai ri, j’ai pleuré, je voulais faire ça moi aussi. Il utilise la chose la plus magique que nous possédons les humains : l’imaginaire.
Un soir je l’ai rencontré parce que je voyais son spectacle en boucle, quand il a recréé la danse du diable au Rond-Point. Je l’ai attendu, et j’ai été très déçu de notre interaction, il m’a un peu zappé quoi. J’étais déçu qu’il ne se rende pas compte à quel point il avait changé ma vision du théâtre, qu’il avait déposé une graine en moi, de l’artiste que j’allais devenir. Il n’avait pas vu qu’il avait bouleversé ma vie.
M : Mais il t’a permis de faire des choses.
L : C’est une grande rencontre artistique oui. mais aussi je m’en suis détaché pour faire un solo à ma sauce avec mes outils. Lui opère beaucoup dans la détente, moi je suis un grand nerveux.
Pour moi, si je ne suis pas trempé à la deuxième minute du spectacle, j’ai l’impression de devoir vous rembourser.(rires) Il laisse le spectateur venir vers lui et moi je vais chercher les gens, les réveiller. Tout donner pour dire “mais vous voyez que j’ai tout donné!”(rires)
Marie : On a un exercice, qui est l’exercice des maquettes, et nous on a monté 30 minutes de masques. Le moment le plus difficile, c’était d’être bloqué entre les règles que l’on connaissait et créer de nouvelles règles. Je voulais savoir quand vous avez créé la compagnie, comment vous avez réussi à transgresser ça?
L : C’est à cause des blocages à répétition qu’on s’est dit stop, ça ne nous sert plus. On va prendre les codes appris quand ça sert la scène et/ou le propos et tout ce qui nous restreint, on transforme! Pour moi c’est important d’avoir connaissance des savoirs anciens pour pouvoirs les transgresser… donc transgresser oui mais sans ignorer ce qui a été fait.
M : transgresser c’est pas oublier aussi.
L : Oui quand on nous dit, « waow le Munstrum c’est nouveau » non, c’est un héritage.
J’ai l’impression que tout a déjà été fait. La chose changeante c’est le public, alors à quel public nous adressons-nous aujourd’hui? C’est une question essentielle à mon sens.
Marie : On a évoqué votre fonctionnement et c’est déroutant que vous assumiez le jeu du masque.
L : Je ne veux plus fabriquer ma voix, je l’ai fait pendant 10 ans! Une dame de l’ ONDA, m’avait dit : “ce masque, quand je le vois sur votre visage, il m’empêche de rentrer dans le spectacle” je me suis dit « merde, donc vous êtes pas rentrer dedans, du coup on en parle plus ? » On s’est battu pour ré introduire le masque au théâtre. Pourquoi Copeau, Lecoq et d’autres ont vénéré le masque et aujourd’hui il serait devenu poussiéreux ou réservé à la pédagogie? Certains directeurs de théâtre nous disaient “le masque c’est ringard” mais alors comment se fait-il que nous trouvions tant de vérité quand nous le portions? Pourquoi le masque nous bouleversait-t- il tant?
Quand je mets le masque de Zypher, je ne change plus ma voix et pourtant des amis proches n’ont pas reconnu ma voix. Un travail a sans doute infusé à force de revêtir cette double peau. C’est en moi, en nous.
M : Question très technique, qu’est la voix. Le masque oblige à projeter, c’est quoi le travail sur la voix, c’est une question d’énergie? , est ce que quand entres en scène tu y penses ?
L : Toujours, oui, projection de la voix, pas de micro dans notre artisanat. On ne monte pas sur scène sans avoir fait un training de corps et de voix.
M : On a ce problème avec un public très proche dans notre salle, donc j’ai des problèmes à dire “projetez”.
L : Si déjà le corps est chaud, la voix normalement suit. Après ça ne dispense pas d’un échauffement vocal et d’avoir conscience de la respiration abdominale. C’est à mon sens grâce à elle que vous allez trouver le puissance d’atteindre le rang X, et bien sûr l’articulation…
Armand :Tu parlais des défis (se comparer, se cacher) et que tu as mis une dizaine d’années à faire en sorte de corriger ça, es-tu face à de nouveaux défis ? je parle d’aujourd’hui en tant qu’acteur déjà expérimenté.
ma deuxième question : si on pense l’acteur comme un instrument comment tu arrives à le dire je mets tel ou tel choses en action dans le corps, en fonction du rôle?
L : Je dirais que le défi, c’est rester en bonne santé parce que sinon je serai frustré de ne plus pouvoir accéder à toutes mes capacités au plateau. Je fume pas, je bois pas…j’essaie de garder une vie dite saine. Avignon c’était très dur pour moi, la chaleur m’a éprouvé. Ce sont des conditions très difficiles pour le corps, il faut donc avoir une hygiène irréprochable.
Mon défi c’est de rester disponible au travail, je ne veux pas être pollué par des soucis physiques. Quand j’ai compris que c’était mon véhicule, mon instrument, mon allié j’ai arrêté beaucoup de choses qui pouvaient lui faire « du mal ».
Armand : le fait de mettre le corps en mouvement. C’est très instinctif ? Quel style de yoga ? Quelles sont tes habitudes ?
L : Effectivement si c’est un rôle très physique, je ne vais pas m’épuiser avant de monter en scène. Et j’ai des rituels à moi, le yoga par exemple où l’énergie n’est pas dissipée mais contenue.
Jeanne: On parle beaucoup d’écoute et d’attention, vu que toi t’as la chance de refaire, comment fais-tu pour trouver cette vérité ? On se cache tous au plateau, comment t’as trouvé ça ? Au début de la carrière ou au fur et à mesure ?
L : Tu as donné la réponse, en répétant les choses, on est un outil assez bête. Par exemple on apprend une musique parce qu’on l’a entendue plein de fois! Faut faire confiance au travail, à la répétition. Certains peuvent avoir des dons ..ok.. mais le travail les gars, faut bosser quoi! Y a pas de secret… le travail ! Podalydès dit qu’il arrive les valises vides sur un projet. Il n’arrive sans doute pas vide mais il fait confiance au travail qui est passé. Confiance au temps qui passe et les choses qu’on nous a rabâchées, un moment elles restent. Les choses qui doivent rester, restent.
Un des grands secrets pour moi pour trouver cette vérité dont tu parles, c’est d’être au présent c’est une des choses les plus difficiles dans notre métier d’acteur!
Daphné : L’année dernière en juin on a présenté Molière et un des soirs, l’énergie au plateau n’était pas bonne, est- ce que c’est possible de rattraper un spectacle en cours de route.
L : Si tu es à l’extérieur de la scène et que les acteur.ice.s ne sont pas au rendez-vous de la scène ça peut rendre fou mais au fil des années on apprend être indulgent, à accepter que tout n’est pas si grave, le théâtre n’est pas grave! On fera mieux demain… et aussi en tant qu’acteur il y a des jours où l’on ne peut pas toujours tout mettre de côté, on reçoit des nouvelles, ça m’est arrivé ne jouer avec l’annonce d’un décès, et bien on continue. Physiquement aussi ; dans le rôle de Scapin avec Porras j’avais violenté mon corps, je ne pouvais presque plus jouer, je courais chez le médecin me faire des infiltrations cortisone dans les genoux… il fallait jouer à tout prix et accepter sa vulnérabilité. Accepter d’être vulnérable, c’est un autre grand secret de l’acteur.
Maylis : Je me pose des questions sur les possédés, la scène dans le rêve/ cauchemars avec tous ces petits perso, tu as des petites boîtes pour garder tout ça? tu as un œil extérieur? Comment tu les as construits et dans l’espace? est-ce que c’est de personnages que tu as déjà en réserve ou? Enfin comment?
L : Je reviens à une chose importante, au Munstrum on travaille beaucoup avec la caméra, on a une assistante géniale qui est aux manettes et qui transfère toutes les vidéos le soir à toute l’équipe. Chacun peut donc avoir accès à toutes les scènes qu’iels ont fait. Iels peuvent se nourrir pour le lendemain. En masque Porass nous proposait d’utiliser le miroir, pour créer sa silhouette.
Pour la scène de l’enfer dans les possédés, j’ai énormément improvisé et je me suis beaucoup filmé. Mais aussi Louis Arene a été mon troisième œil, on est branché sur les mêmes fréquences, ça fuse vire entre nous, nous avons un langage commun. Et aussi j’en parlais tout à l’heure avec Philippe Caubère… je l’ai beaucoup observé.
M : Ca été le truc du jour, l’observation.
L : Spatialement oui il faut créer des zones, comme des décors imaginaires. Avant d’être acteur je suis un spectateur alors je matérialise la précision et la compréhension que je voudrais voir en tant que spectateur. Dans les possédés la lumière aide énormément aussi…
M : qu’ est-ce que tu pourrais leur dire, maintenant qu’ ils sont en formation? Que dire à ces jeunes générations qui essayent d’être à cet endroit? Bon t’as déjà dit beaucoup mais…?
L : Que dire? euh…des choses techniques, même spirituelles… Dans mon spectacle j’en donne un peu les clés. Avec Louis nous en parlons beaucoup, c’est quoi la joie? Qu’est-ce que c’est réellement ? comment la trouver ? Si on ne la trouve pas sur le plateau c’est sûrement plus difficile de la ressentir dans le public.
Ne pas perdre de vue son objectif, d’être un, une artiste, de changer le monde, participer à sa transformation. Être artiste demande aussi de re-questionner sans cesse, de mettre à l’épreuve, d’être un, une anthropologue de l’époque même, qu’iel est en train de vivre.
La force du théâtre à laquelle je me relis depuis des années c’est son pouvoir de raconter des histoires et provoquer des émotions. Quand je rencontre le public en sortant de scène, j’ai l’impression de me connecter à quelque chose de plus grand que juste une rencontre entre deux personnes, par l’énergie convoquée sur la scène on se connecte plus facilement à l’autre et donc au monde. Souvent dans notre société j’ai impression qu’on veut nous amener à l’inverse, nous désunir, nous séparer. Faites du théâtre et donc transgresser, oui ! transgressez et rêvez! Soyez les réalisateur.ice.s de vos rêves.
M : Quels sont les prochains rendez-vous de la compagnie ?
L :on vient de jouer au Théâtre Public de Montreuil trois spectacles du Munstrum. Zypher, Les Possédés d’Illfurth et la forme à 3 clowns, Clownstrum. Pour la prochaine création, ce sera pour 2025, c’est encore secret mais nous allons nous attaquer au Macbeth de Shakespeare. Nous avons très envie d’aborder les grandes écritures. Aller vers ces écritures là, ça veut dire comment rendre actuel, comment ça peut encore nous parler? ça va être ça notre défi, raconter cette histoire avec nos préoccupations à nous.
Et pensez à vos travaux de fin d’année, ce sont des endroits de liberté incroyables que l’on a parfois du mal à atteindre en sortant de l’école!
Merci Lionel.
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