QUE CHERCHE LE PUBLIC DU IN ?
Pour qui jouons-nous?
Est-ce que chaque soir, dans toutes les salles de spectacle du monde, ce sont de petits coeurs battants, remplis de l’espoir immense d’être les spectateurs muets de l’apparition de l’indicible, de l’inénarrable, de Dieu sur la scène qui attendent les comédiens? Il faut le souhaiter. Car, a priori, c’est toujours ce désir qu’a le public qu’on l’emmène dans un Ailleurs qui fait travailler dur les artistes.
A Avignon, festival censé être un moment privilégié de rencontre entre les artistes et leur public, on critique de long en large, en travers, sous toutes les coutures les oeuvres présentées; moi, je regarde le public. Car en effet, il semblerait qu’ici, paradoxalement, c’est le public qui fait le spectacle.
Par exemple, l’attitude qui consiste à quitter une salle en pleine représentation est considérée, dans « le monde normal, pas le petit monde merveilleux d’Avignon », comme un évènement exceptionnel, souvent jugé grossier, voire intolérable; et si l’absorption de petit jaune dans la moiteur de l’une des nombreuses terrasses d’Avignon a fait perdre à certains le sens de « la norme », il suffit d’aller au cinéma voir Submarine où Richard Ayoade a fait de l’idée de quitter une salle en plein spectacle et de l’indignation que cela provoque couramment le sujet de l’une de ses séquences… Alors que se passe-t-il à Avignon?? Dans le In, cette attitude est chose courante, on pourrait presque parler de rituel. Tandis que le public du Off, malgré la qualité relative des pièces qui lui sont proposées, reste poliment assis jusqu’à la fin, le public du In, animé par un sentiment bizarre (désir de montrer qu’il ne fait pas partie de cette partie du public qui considère que payer 30euros pour une pièce c’est s’offrir un cadeau qu’on savoure jusqu’au bout? idée que le concept du festival commande aux spectateurs de manifester leur petit ressenti personnel face aux pièces? besoin de profiter de l’évènement pour prouver son existence devant les artistes, les spectateurs bien élevés, Dionysos, le monde….??), le public du In donc, a la bougeotte et, à partir du moment où il se trouve devant une pièce, oublie père et mère et se casse en plein spectacle. Nous ne citerons pas en plus les spectateurs qui arrivent dix minutes après le début de la deuxième partie comme s’il y avait un malentendu possible sur la façon de gérer le temps d’un entracte (« ah je n’avais pas le temps de prendre une bouteille de champagne à la terrasse d’à côté et de commencer à débriefer pompeusement la pièce pendant une demi-heure? Ils ne m’attendent pas pour reprendre les saltimbanques?! »). Inutile de préciser qu’aucun des spectateurs qui osent agir de la sorte n’a intérêt à venir me proposer de discuter avec moi autour de Kant et de l’idée d’ « agir toujours de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en loi universelle »; je l’enverrai se faire confesser auprès de notre futur pape Olivier Py !
Le théâtre: n’est-ce pas le lieu où l’artiste peut entrer en contact direct avec son public, le lieu de l’expérience ultime du réel? C’est ce que le public du In n’a apparemment pas intégré. Avec Low Pieces, Xavier Leroy propose au public une expérience plutôt originale, et que tout spectateur qui se respecte accueillerait avec joie et reconnaissance, dans l’idée seule qu’il paye un artiste qui cherche à l’étonner, qui pense à lui, donc !! Il propose un dialogue entre les artistes de Low Pieces et le public, un avant le spectacle et un autre à son issue. En somme, on propose au public de faire partie du spectacle, et de participer à créer un moment inédit. Qu’est-ce que ça lui inspire? Une avalanche de vannes vulgaires, de questions provocatrices mais creuses, de tentatives de placer à tout prix n’importe quelle réflexion pseudo-intellectuelle sans se soucier de couper la parole à un autre participant. On assiste à un triste tableau: celui d’une humanité satisfaite, puante, dépourvue de la moindre élégance… Ou plutôt on se dit que si on virait les vingts connards qui se permettent de prendre le pouvoir en levant haut l’étendard de leur médiocrité dans le beau lieu du théâtre, le spectateur élégant pourrait peut-être partager avec les artistes de beaux moments. En bref on commence à avoir des idées fascistes et c’est un peu effrayant…
Pendant le Macaigne, un acteur hurle à un autre: « Ferme ta gueule!! ». Un spectateur probablement enthousiasmé par la violence déployée sur scène aboie à son tour: « Arrête de hurler!! ». Au moins il y a de la vie. Jusqu’au moment où le-dit spectateur se lève, et s’en va.
On est en droit de se demander: Que cherche le public du In? Si toute tentative par les artistes de proposer du spectacle est rejetée systématiquement par lui comme si l’évènement lui conférait un droit de veto particulier sur les oeuvres… Alors on réfléchit, on regarde un peu partout et on s’aperçoit qu’au milieu de tout ce bordel, il y en a un qui a trouvé la solution: c’est Castellucci. Oui, lui seul l’a bien compris: le public du In d’Avignon… il cherche la merde.
LL
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