« Tragédie » d’ Olivier Dubois
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice »).
par Alice de Coccola
« Tragédie » d’ Olivier Dubois présenté au 104 du 2 au 4 février est une pièce brutale, hypnotique. Un manifeste politique et poétique.
Qu’est-ce qu’une humanité ? Qu’est-ce que ce vivre ensemble ? Comment donner une sensation d’humanité, plutôt que donner à voir l’humanité ? Questions et recherche fondatrices de ce manifeste chorégraphique.
Un poème écrit pour 18 danseurs nus, 9 hommes et 9 femmes. Ils se présentent sur un plateau nu au rythme lancinant des battements de tambour, qui déploient dans l’espace sonore un climat lourd et menaçant.
3 temps, 3 mouvements rythment la pièce et suivent le Chorus de la tragédie grecque.
Une parade ou les corps sont exposés « Je suis homme ainsi fait, je suis femme ainsi faite ». Ils surgissent un par un du fond du plateau, du néant pour marcher face au public et repartir en tournant le dos. La nudité nous révèle l’homme dans son plus simple et plus bel appareil. Ni accrocheuse, ni racoleuse. Un espace offert à la lecture, un état de fait, sans commentaire, sans démonstration outre le fait d’être disponible et vivant. A la recherche d’une humanité originelle, de la dignité humaine, de ce qui fait que les hommes se tiennent debout et s’avancent dans la lumière crue.
Elle prend la forme d’une marche, d’une foulée noble, celle de l’alexandrin, 12 pas allants, 12 pas revenants. Les rimes féminines et masculines se croisent, s’embrassent pendant plus de 45 minutes inscrivant la beauté du poème chorégraphique dans nos chairs.
Suivent les épisodes et la catharsis. Naissance de l’homme sous la forme de chutes, de mouvements qui se déploient peu à peu dans les corps et dans l’espace redéfinissant la marche, les rythmes, les courbes.
Confrontation des hommes et des femmes. Et peu à peu ces corps isolés se fondent, s’entrechoquent, explosent dans un cri, un fracas, un engagement ultime qui laisse entrevoir ce qui fonde la communauté des hommes. Une faille originelle dans laquelle tomber. Un chœur de chair se forme pour aussitôt de dissoudre. Etat de transe ultime.
«Par le chant et la danse, l’homme manifeste son appartenance à une communauté supérieure : il a désappris de marcher et de parler et, dansant, il est sur le point de s’envoler dans les airs. Ses gestes disent son ensorcellement » dans La naissance de la tragédie de Friedrich Nietzsche qui est un des textes fondateur de l’écriture d’Olivier Dubois.
Ces hommes et ses femmes quittent un par un la scène et nous laissent à terre, en état de choc.
Véritable et profond uppercut émotionnel et esthétique.
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