Retour à Berratham – Angelin Preljocaj
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice ») en formation au LFTP.
Par Romain Gneouchev
Des corps criblés de balles face à des mots sans impact.
Après l’avoir présenté dans la Cour d’honneur de la cité des Papes, Angelin Preljocaj reprend sa dernière création Retour à Berratham Salle Jean Vilar à Chaillot.
« Un jeune homme revient à Berratham. Il avait quitté cet endroit juste avant la guerre, il avait laissé Katja derrière lui. Il n’a qu’une obsession : tenir sa promesse en la retrouvant. Là, il ne reconnaît plus les lieux de son enfance, dévastés, ni les gens qui y vivent encore, livrés à eux-mêmes… »
Suite à une commande du chorégraphe, Laurent Mauvignier se lance dans la rédaction de ce livret qu’Angelin traitera comme « sa bible » à lire, lire, relire et sacraliser.
Mettre en mouvement les mots. Voilà le défi que Preljocaj se donne, et qu’il rate.
Quand, à quatre mains, Man Ray et Paul Eluard rédigent « Les Mains Libres », sous le titre, il est écrit : « Dessins de Man Ray illustrés par les poèmes de Paul Eduard ». Il n’est pas impossible d’illustrer des poèmes par les dessins, mais l’impression de fond que donne Retour à Berratham est un manque cruel d’unité.
Les corps sont acérés, les mots imprécis. Les corps dessinent, les mots entachent. Les corps questionnent, les mots définissent. Les corps sont vivants, les mots convenus. Les corps ouvrent l’imaginaire, les mots l’avortent. Les corps suggèrent, les mots plaquent. Les corps sont, les mots non.
Premièrement, les acteurs – ceux qui parlent sur le théâtre, n’ont pas un rôle lisible, tantôt acteurs, tantôt narrateurs ; tantôt observateurs, tantôt danseurs. Il est difficile de percevoir leur place dans le récit. Ils cherchent à sublimer le geste et à questionner ? Le manque de précision des choix, si il y en a, brouille la lecture et ne fait guère plus que polluer l’imaginaire ouvert par les corps.
Ensuite, il y a un réel problème dans la prise de parole. Le premier schisme est entre la parole et la danse, le deuxième est au sein même de la parole, les trois acteurs Laurent Cazanave – presque aucune élision et un phrasé tonique, Niels Schneider – plus quotidien, et Emma Gustafsson – qui trouve une forme d’entre-deux assez fade, ne trouvent pas d’unité et les relais sombrent comme des ricochets ratés. La parole demeure plate, désincarnée, ou mal incarnée. Le texte est rarement perçu. Il apparait comme une série de mots sans style jetés à la figure du spectateur, de peur qu’il ne saisisse pas l’histoire que les corps s’efforcent de nous transmettre.
La parole trop présente, ne trouve, ni son intérêt, ni son impact sur une chorégraphie extrêmement riche, tantôt d’une rigueur martial, tantôt trouvant un rebond puissant dans une mouvance tribale, et surtout, portée par d’excellents danseurs.
On lui reprocherait presque, à chaud, de ne pas faire assez confiance à la puissance du seul corps humain et de ce dont il peut se faire messager. C’est quand les acteurs se taisent que le théâtre arrive dans Retour à Berratham.
La scénographie, signée Adel Abdessemed, parait elle aussi convenue, sans grand intérêt, jonglant maladroitement entre naturalisme et symbolisme dénué de puissance visuelle.
Quant à la thématique abordée, le fond du sujet, on ne fait que le survoler tant les mots de Mauvignier, pourtant intéressants à la lecture, traités comme ils le sont, gêne l’intensité et l’envolée dramatique cherchée.
C’est un piège qu’Angelin Prejlocaj a pris grand soin de se tendre. Coller les mots traduits par les corps ricochets ratés. La parole demeure plate, désincarnée, ou mal incarnée. Le texte est rarement perçu. Il apparait comme une série de mots sans style jetés à la figure du spectateur, de peur qu’il ne saisisse pas l’histoire que les corps s’efforcent de nous transmettre.
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