Belle d’hier – Phia Ménard Cie Non Nova
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. »
Par Sara Baudry
C’est dans cette grande salle du théâtre de la ville que j’ai découvert Belle d’hier.
On entre face à un énorme bloc doré, à moins qu’il ne s’agisse d’une surface, nous n’avons pas une lecture claire de ce volume, en milieu de plateau qui prend toute sa hauteur et toute sa largeur. Ce qui s’avère finalement n’être qu ’une surface se lève progressivement, laissant apparaître un volume pavé de 3 mètres de haut qui prend lui aussi toute la largeur de la scène. Nous percevons l’intérieur par trois grandes baies carrées. Les vitres sont embuées, derrière dans un espèce de brouillard des formes s’agitent, personnages en combinaison et gigantesques mannequins manipulés.
Deux de ces baies s’ouvrent. Cinq personnes en combinaison sortent de l’intérieur des corsets figés, et d’immenses poupées, mannequins, épouvantails (?), dans des tissus que la lumière nous fait apparaître vermeille. L’avant-scène est progressivement recouvert d’une vingtaine de ces formes humaines vides aux bras tendus vers nous. Leur taille, leur nombre, leur position, leur absence de visage, le vide dans les grands capuchons composent un tableau puissant, expressif, effrayant.
Les cinq personnes en combinaisons se placent sur le côté et observent. La musique nous emporte, et nous sommes à l’affût de ce plateau vide d’humain en mouvement. Ces grandes « statues » de tissus ne restent pas immobiles longtemps. Les mouvements sont d’abord difficilement perceptibles. Puis plus nets et plus brutaux. Les bras tendus descendent progressivement. Des capuchons s’affaissent, écrasant l’espace que nous avions dédié à des têtes imaginaires. L’immobilité est difficilement supportable pour le spectateur-trice (celle que je suis en tous cas), mais le premier mouvement de ces statues que nous avions d’abord vues immobiles nous plonge dans une attention aiguisée, un affût. Qui descend ce bras ? En fait, cette « poupée » vie ? Y’a-t-il quelqu’un à l’intérieur ? On est rapidement troublés. Les transformations sont à la fois lentes et brutales, certain corps se plient en deux. Ce n’étaient pas des corps, mais les premiers mouvement m’avaient donné envie de les imaginer. Un bruit d’eau se superpose à la musique. Ce sont des statues de glace. L’immobilité imposante du gel et de ces formes dessinées et puissantes laissent place au mouvement de l’eau, et le tissu redevient souple, mou, sans vie. Paradoxalement le début du mouvement est la fin de cette existence éphémère. La fonte est accélérée par les observateurs en combinaisons qui munis de tuyaux aspergent les statues, et les écrasent, et les plient en deux sur une barre métallique. C’est une manipulation difficile. La rupture d’échelle entre ces « statues » de 2m50 et ceux qui les déplacent est criante.
Le mouvement s’accélère et un ballet de seaux et de bassines d’eau commence dans lequel vont passer et repasser « ces statues » jusqu’à devenir tissus, informe et gris (changement de couleur par changement de lumière), tristes serpillières, foulées énergiquement par les cinq personnes sorties de ces combinaisons. Nous sommes maintenant en présence de cinq danseuses en tutus colorés. Un ballet d’actions cadencées est porté par une musique saccadée, composée d’un tintement et d’un souffle haletant et nous entraîne pendant le tiers majeur et central du spectacle. Une frénésie du travail à la chaîne, de la répétition, nous évoque des cadences Chapliniennes. Les tissus encore rigides sont foulés au pied, martelés à la batte, plongés dans l’eau maintes fois, puis à nouveau fixés à des crochets sur une barre métallique. Cette barre est hissée, et l’eau qui coule de ces grands tissus rythmera toute le reste de la performance.
Les cinq femmes, à présent sous ce déluge, se déshabillent, se défont de cet « apparat de princesse acidulé » et nues nous observent, se figent, et sont peu à peu tordues par un rire mécanique.
Un rideau de plastique tombe devant elles et elles sont envahies par une épaisse fumé, nous continuons à entendre leur rire et l’eau qui tombe. Derrière elles, un trou lumineux rouge dans lequel elles disparaissent une à une. Cette dernière image est très forte. Puissantes, elles nous ont abandonnés. La symbolique de ce trou rouge est peut être un peu trop direct, et moins subtile que l’on aurait pu le souhaiter.
Que représentaient ces statues imposantes et nombreuses, décomposées par ces cinq femmes progressivement mises à nues (de façon littérale) ? Leur petitesse relative ne m’a pas donné un impression de fragilité ou de faiblesse, chacun de leur geste est énergique, maîtrisé, dirigé. Elle se sont débarrassées de cette armée d’eau et de tissu, d’un pouvoir apparent, mais pour disparaître où ?
Phia Ménard a voulu « travailler sur le mythe du sauveur, mythe du sauveur qui s’évanouit» (Phia Ménard, arte journal, 2015), qu’importe si nous n’avions pas vu les sauveurs, nous avons vu une puissance fondre, et des femmes en vie quand bien même sont-elles perdues dans le brouillard.
Le rapport aux éléments, glace, eau, air, est organique, sensuel. Phia Ménard parle d’expérience partagée.
On sort envahis d’images et de sensations, et d’interrogations. Femmes, qui sommes nous et où en sommes nous ?
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