Rencontre avec les comédiens de « Ca ira » de Joël Pommerat : Maxime Tshibangu et Bogdan Zamfir
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. »
Rencontre du 7 décembre 2015 au LFTP
Par Elsa Toro
Maxime , la quarantaine, est issu de la classe libre du cours Florent ; au fil des rencontres il en est venu à travailler avec Joël Pommerat (depuis la pièce La Réunification des deux Corée).
Bogdan a 29 ans, il est roumain. Il a fait une licence de français/Tchèque puis est venu en France pour faire un Master de Tchèque, et de la traduction. Il commence le théâtre dans un cadre universitaire, écrit une thèse sur la problématique de l’immigration dans le théâtre. Puis il entre à l’Ecole Supérieure d’Acteurs de Liège, et rencontre Joël Pommerat dans le cadre de l’école.
Pour ce spectacle, Joël Pommerat a fait plusieurs stages d’un mois avec des comédiens afin de défricher la matière et éventuellement trouver des comédiens. En tout, trois stages on été conduits, deux à Nanterre et un à liège, à l’ESA, 6 comédiens sont issus de ces stages, dont Bogdan, qui est actuellement encore en école.
Ces stages visent à perfectionner une méthode, un système de questionnement de la matière.
Question de la méthode de travail, du processus de création :
La matière :
La matière première est incontestablement l’acteur : l’acteur doit toujours être en vérité, et partir de lui-même pour créer .
Au-delà de cette matière qu’est l’acteur, la matière qui a servi de base à la création du spectacle était très concrète : il s’agissait de nombreuses archives de politiques et députés de l’époque (incluant Marat, Robespierre etc..), contenant des discours, des comptes-rendus de réunions ainsi que des archives épistolaires.
Joël Pommerat a ainsi fourni à ses comédiens un petit dossier contenant divers documents d’archives afin de nourrir leur imaginaire.
Les comédiens ont beaucoup travaillé sur des discours : il fallait partir de soi-même et venir avec des idées politiques déjà inscrites dans les matières extérieures puis de les retranscrire en improvisation, dans une restitution très « live ».
L’état vient avant le mot : il faut définir ce qui est vrai et juste dans l’improvisation avant d’écrire la scène.
Toujours rester en vérité, convoquer le réel à un haut degré de tension, dans des circonstances et un contexte exceptionnel.
Comment retrouver la vérité sur le plateau tous les soirs ?
A force de jouer, les scènes sont écrites. Au fur et à mesure l’improvisation se fixe. Pour graduer la vérité, il faut toujours parler à des gens : il y aura une différence dans le spectacle selon le rapport à la salle, ses réactions..
Joël Pommerat demande à ses comédiens de toujours réinventer.
Le processus de création a comporté tellement d’improvisation que si l’état est là, la parole n’a pas de mal à sortir : le texte vient de l’écriture plateau, il vient des comédiens, il leur est déjà familier.
Joël Pommerat a pour idée que monter des auteurs n’est pas sa nécessité de faire du théâtre. Pommerat est plus dans ce qui se passe dans le monde actuel. Il travaille toujours à partir d’écriture plateau, mais sur ce spectacle sa façon de trouver le texte a changé, ce spectacle a fait évoluer sa manière de travailler.
Question de la préparation individuelle avant le spectacle : comment passer d’être avec soi à être collectif ?
Nous avons eu 8 mois de répétitions : cela a grandement soudé l’équipe. C’est un groupe très prévenant, une aventure rare humainement.
Il y a rarement des pièces à « héros » chez Pommerat…
Joël Pommerat a une grande fidélité avec ses acteurs : 20 ans pour certains. Le collectif prime donc sur l’individu.
Quelles sont les difficultés que vous avez pu rencontrer ?
Tout est à réinventer tous les soirs, mais nous n’y arrivons pas toujours. Nous sommes donc toujours en travail, jamais « tranquille », il y a une perpétuelle remise en question, il faut toujours tenter et si ça ne marche pas, tant pis. C’est une recherche perpétuelle.
La question de l’échec est très importante : il faut accepter le fait que l’échec fait partie du jeu. Le théâtre est quelque chose de beaucoup plus grand que nous, que nous ne pourrons jamais dompter.
Si c’est le résultat qui est le but du jeu, c’est une quête perdue d’avance.
Revenons sur le processus d’écriture de la pièce, comment cela se passe ?
C’est un processus collectif. Chacun dit des choses durant les improvisations, elles sont gardées telle quelle ou parfois reformulées, les répliques sont échangées entre différents acteurs, ce qui a été dit par l’un peut être donné à l’autre au final, etc…un texte a été écrit par une actrice et Joël Pommerat l’a gardé.
Il y a une scène qui a été écrite sur une seule phrase d’improvisation.
Chaque soir, après une longue journée d’improvisations et de recherches avec les comédiens, Joël Pommerat tirait de cette matière des scènes, une ébauche de la pièce qui se constituait au fur et à mesure et qui étaient sans cesse lue et relue et modifiée. Y compris après les toutes premières représentations, car il existe une différence entre ce qui se joue lors des répétitions et la manière dont cela résonne lorsqu’il y a un public.
Question de la distribution :
Joël Pommerat avait déjà l’idée de ce qu’il fallait pour tel ou tel rôle, et puis les choses se dessinent au fur et à mesure des impros.
Il a le souci que chacun ait de la visibilité. (rarement des pièces à « héros » chez Pommerat)
Par exemple, Bogdan jouait 7 personnages, dont 3 assez conséquents : il y avait parfois un très grand écart entre les différents personnages, leurs caractères et leurs discours.
Joël Pommerat essaie de garder la même honnêteté dans le traitement des conservateurs et des progressistes, et de faire de ses comédiens non pas des passeurs d’une pensée politique mais d’une pensée collective. Il veut plonger le spectateur dans le réel de l’évènement : le dispositif avec les acteurs dans le public aide à cela.
Vous jouiez le soir du 13 novembre, et les représentations suivantes ont été maintenues. Comment cet évènement s’est répercuté sur votre travail, sur le spectacle ?
Bien sûr, il y a eu des résonnances directes avec le 13 novembre.
Inconsciemment cela modifie des choses, y compris chez le spectateur.
Il y a des parties du texte qui résonnent différemment, le spectateur est comme rattrapé par la réalité, le dehors s’invite au théâtre, en quelque sorte…
Cela amène ailleurs la réflexion, les choses prennent une autre dimension.
Plus de 4 heures de spectacles, d’une énergie extraordinaire, on doit sortir de scène épuisé, comment faire avec la fatigue ?
Certains soirs la fatigue permet d’être là, de ne plus réfléchir, d’être présent . En réalité la fatigue est une amie, il ne faut pas lutter contre.
La fatigue fait même partie intégrante du spectacle : elle permet la légitimité d’être là, elle est extrêmement utile pour raconter la souffrance du peuple, des débats…
Comment gérer ces longues scènes collectives à l’Assemblée ?
Il faut rester en connexion à tous moments même si on a juste quelques phrases à dire : cela permet d’aider l’autre comédien, lui dire qu’il n’est pas seul. A l’Assemblée nous ne sommes jamais spectateurs.
Il faut laisser l’autre parler, afin de faire entendre le discours et bien entendu réagir pour ne pas que la scène soit morte mais il faut aussi veiller à ne pas être caricatural dans nos réactions.
Quelle est selon vous la qualité essentielle d’un élève en formation ? Quel conseil donneriez-vous à des élèves-comédiens ?
Bogdan : je citerais Brecht : « tout n’est que changement » .
Il faut tisser des liens, faire des rencontres, et surtout ne jamais mettre quelqu’un au centre de ce réseau. Rester intègre.
Etre dans l’urgence et la nécessité de faire du théâtre : avoir quelque chose à dire, à défendre avec une passion, une sincérité, une vérité, avec ce que l’on est.. être sincère avec soi même. Se poser les bonnes questions : celles qui aident à avancer et pas celles qui détruisent, anéantissent, empêchent d’y aller…
Aller aux spectacles, conférences, fac, rencontres avec les gens ; aller chercher les gens qui nous touchent. Il y a toujours quelque chose à prendre, il faut chérir la valeur de l’expérience, des paroles des autres : faire quelque chose dans l’état actuel malgré tout.
Maxime : Parce qu’il y a contrainte, se lancer sans se prendre la tête. On nous donnera pas d’argent (subventions) alors allons-y. Dans le pire des cas il y aura le plaisir de l’avoir fait. Y croire.
Ça (Le théâtre) m’a soulagé du monde.
Ecrire aux gens avec qui on a envie de travailler. Oser le faire. Ça a marché pour certains.
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