Je suis Fassbinder – Falk Richter
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. »
Par Amandine Fluet
Comment parler de l’actualité en une Europe de temps troubles quand on est artiste. Est-ce son rôle? Jusqu’où aller ?
C’est ce à quoi se sont attelés les deux metteurs en scène Falk Richter, également auteur, et Stanislas Nordey, par ailleurs interprète de Rainer (Fassbinder)/Stan (lui-même), avec une traduction au jour le jour de Anne Monfort lors de l’écriture.
Cette pièce nous offre une mise en abyme vertigineuse avec l’Europe des années 70 du cinéaste Fassbinder. Une des sources d’inspiration principale est L’Allemagne en automne, tourné en 1977, alors que l’Allemagne est déstabilisée par le terrorisme de la bande Baader-Meinhof, et dans lequel Fassbinder filme une discussion de lui-même avec sa mère, arrivant à lui faire dire la pensée qui affleure à l’époque, celle qu’il faudrait remplacer la démocratie par un Führer, mais gentil.
« JE SUIS TROUBLEE
J’ai peur
Je suis l’Europe
Je n’ai pas d’identité
Je suis l’Europe et
Personne ne sait ce que ça signifie »
Extraits de Je suis Fassbinder
On estime souvent qu’il est très risqué au théâtre de parler de l’actualité récente. Richter et Nordey réussissent cette gageure, peut-être parce que les violences du réveillon de Cologne, la montée du nationalisme, le terrorisme de Daech… résonnent étrangement avec la chape de plomb qui pesait sur l’Allemagne des années 1970.
Dans un décor et des costumes recomposant ceux de ses films, et surtout le tapis blanc des Larmes amères de Petra Von Kant, les cinq comédiens sont eux-mêmes, artistes, acteurs du film, héros de la pièce. L’improvisation théâtrale et l’écriture plateau y sont abordées. Ici, pas vraiment de personnage au sens conventionnel.
L’ambiance 70’s pop est exploitée jusqu’au bout avec des interventions musicales à la fois kitsch et émouvantes, comme ce moment magique où tous revêtent la robe verte de Petra pour un chant tragi-comique.
Les passages directement joués face public nous saisissent, grâce à la puissance du texte et l’énergie foisonnante des interprètes. Dans les scènes de dialogues, la parole est comme libérée, jusqu’à l’outrance; elle nous fait rire et nous interroger sur nous, sur notre identité et nos dérives.
« Il n’y a pas de « pièce » / ça, là, ce n’est pas une « pièce »/ ça, là, c’est la vie / notre vie / nous / ce moment / ça là ça là ça là / l’intérieur et l’extérieur / ici et maintenant / POURQUOI VOUS NE COMPRENEZ JAMAIS CA EN FAIT ?!? »
Extraits de Je suis Fassbinder
On sent sur le plateau une rage communicante de vivre, de « jouer », de dire, au-delà de la censure.
Pour nous, jeunes comédiens, cette pièce pourra nous questionner dans toutes nos prochaines créations et démarches d’artistes ancrés dans le présent. Jusqu’à vouloir détruire la société par l’art, comme Fassbinder ?
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