The fountainhead – Ivo van Hove
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. »
Par Vincent Breton
Adaptation du roman éponyme d’Ayn Rand, publié en 1943, cette mise en scène du metteur en scène des Damnés (en ce moment à la Comédie-Française), adopte une esthétique très réaliste, au sens où on ne voyage pas beaucoup. Comme le souligne van Hove, le rapport avec le public est très classique, bien que la scénographie soit, sur un certain nombre de points, originale. Notamment, la régie est sur scène, dans une verrière à jardin, et tout le fond de scène est occupé par la production musicale : percussions en tous genres, claviers, oscilloscopes, et autres générateurs d’ondes sinusoïdales. Le reste de la scène est utilisé avec parcimonie. : une table d’architecte par-ci, un bureau de rédaction par-là, un drap sur le sol pour représenter le lit.
Les acteurs sont hollandais, l’intrigue est américaine et prend place dans les années 20 à New York. La mise en scène conserve la division du roman en quatre parties, qui prennent les différents moments de la vie de l’architecte (imaginaire) Howard Roark, individualiste égoïste génial. Il ne veut travailler avec personne qui le contraigne à des compromis, ou qui fasse lui-même des compromis, ou qui n’ait pas en lui-même un idéal d’absolutisme fasciste concernant la création architecturale.
Le traitement des différentes situations est très conventionnel : pendant quatre heures, les scènes dialoguées s’enchaînent et se ressemblent, et le jeu cinéma permis par l’équipement de tous les acteurs de micros n’aide en rien à faire décoller les intrigues amoureuses redondantes et fort peu passionnantes qui ne manquent pas de faire penser à des sitcoms américaines : l’espèce de fausse clairvoyance de chacun, la pseudo-maîtrise des situations par un usage raffiné de la parole n’impressionnent absolument pas. Pourtant, les acteurs font ce qu’ils peuvent. Mais rien à faire. Même la scénographie pour le moins dispendieuse peine à créer des images suffisamment fortes pour le spectateur, tant on n’a l’impression que plus aucune limite technique n’existe, et l’apparition d’une presse d’imprimerie de journaux sur la scène est à peine remarquée.
On comprend lorsque van Hove précise qu’il monte cette pièce principalement pour la question éthique et morale derrière le personnage d’Howard Roark, et son acte final de destruction. Ayn Rand est à l’origine du courant philosophique qu’elle a appelé objectivisme, et qui vise à considérer que « l’ego de l’homme est la source vive du progrès humain ». De là le traitement des personnages faisant des compromis comme faibles, hypocrites, lâches, colériques, et à l’inverse la glorification d’Howard Roark comme un être posé, indépendant, créateur pur sans lequel le monde ne pourrait avancer, ce qui justifie la destruction d’un projet de logements sociaux voire le viol d’une femme.
En cela, oui, le projet d’Ivo van Hove est intéressant : il nourrit la réflexion sur le sujet du créateur, notamment lorsque l’œuvre en question est liée aux besoins humains fondamentaux (comme se loger). Cela tend à entrer en résonance avec la création artistique, tout autant déterminée par les intérêts économiques, mais moins par les question vitales qui touchent de près les citoyens : manger, dormir, aimer. L’artiste doit-il accepter complètement la solitude et rejeter quiconque tente de le faire dévier de son projet, ou se doit-il de construire sa pensée en se mêlant à la société dont il fait partie, ne recherchant pas la beauté dans l’absolu de la matière, mais dans la variabilité et l’impermanence qui sont principes de l’humain et de son organisation en société ?
A l’endroit de la réflexion personnelle que constitue l’instant présent, je crois fermement, parce que nous cherchons si ardemment à être au monde, que notre travail est travail d’observation, d’amour et de témoignage de ce qui nous est extérieur.
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