Timon/Titus – David Czesienski / Collectif OS’O
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. »
Par Vincent Breton
Timon d’Athènes et Titus Andronicus sont des tragédies de Shakespeare que personne n’a lues, comme ne manque-t-on pas de nous le rappeler en introduction, avec un résumé pour le moins difficile à ingérer de la seconde, la première étant exploitée plus tard.
Un mot, d’abord, de la dramaturgie, surprenante et vive. Le spectacle traite de la question de la dette, qu’elle soit matérielle ou morale, individuelle ou collective, à l’aide d’un débat assumé comme public entre des personnes non précisées mais dont les opinions politiques sont rapidement identifiables, entrecoupé d’une histoire familiale macabre d’héritage : quatre enfants se retrouvent dans le château familial pour ouvrir le testament de leur père, mais les choses tournent mal lorsque ses deux enfants cachés viennent d’une part réveiller les tensions internes à la fratrie, et d’autre part contrarier la succession.
La même scène est jouée trois fois, avec reprise du débat entre chaque, et à chaque fois le contenu du testament est différent. Cependant, l’issue en est toujours la même : tout le monde meurt, sauf le maître-chanteur de la fille illégitime, qui se fait passer pour son compagnon. Et chaque fois, le mode de jeu adopté semble très différent. On passe d’une sorte de caricature de boulevard à du grand guignol en passant par un véritable jeu de tragédie classique, qui vient nous surprendre et au passage témoigner de toute la puissance vibratoire des textes Shakespeariens.
Le débat lui-même exploite les situations présentées pour mettre à jour la réflexion autour de la question : « doit-on payer ses dettes ? » qui d’abord se voit répondre un « oui » quasi unanime pour tendre vers un « non » douloureux et la remise en question de la légitimité de l’existence de celle-ci en revenant à des fondements hypothétiques qui font penser au second discours de Rousseau.
On ne peut ignorer la jeunesse de la troupe et des interprètes, qui infuse dans le message porté, le traitement généralement caricatural des personnages défenseurs de la dette — en particulier le banquier, auquel aucune chance de rédemption n’est laissée par l’interprétation, malgré son argumentaire développé —, et la déclaration d’amour fougueux faite aux textes de Shakespeare. En contrepartie, l’énergie de jeu déployée est entraînante et nous passionne pour cette question en apparence rebutante, une énergie qui vient souvent faire voler en éclat les attentes des spectateurs vis-à-vis du théâtre, à l’image de l’introduction du spectacle, en forme de pastiche de tragédie contemporaine : tous les acteurs, morts d’une façon différente, sont exposés sur scène, et se tient au milieu d’eux celui qui jouera le maître-chanteur, machiavélique. Ont y croit jusqu’à ce qu’il jette aux oubliettes d’un revers d’ironie cette dramatisation outrancière, pour mieux y plonger, sans que ne nous soit vraiment laissée la possibilité d’y croire encore.
Je regrette un peu que le niveau de la situation intime ait été effacé par celui de la réflexion politique, admirablement porté par le débat en toile de fond. Quant aux pièces de Shakespeare, bien qu’elle ne soient pas jouées, elle ne sont pas pour autant traitées en prétexte. Ce qui ne nous empêche pas de regretter de ne les avoir vues que de si haut : une dette à rembourser ?
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