2 : Le droit au caché
« Il y a menace sur l’intime.
Le territoire de l’intime pourrait se définir simplement : c’est la possibilité du caché. Qu’il y ait, face au monde, un lieu du sujet, un lieu qui soit son lieu, où il puisse se soustraire au regard de l’Autre, à sa volonté de transparence, c’est-à-dire à sa volonté de réduire l’homme à une chose, livré entièrement dans sa vérité à son regard extralucide.
L’intime est le lieu où l’homme ne serait pas cet être diaphane.
Un lieu aussi où le sujet hors de tout regard peut se regarder lui-même. Tel est le cœur double de l’intime : pouvoir se soustraire au regard omnivoyant, et se regarder soi-même.
Seulement cela ne signifie en rien que dans le secret de sa chambre, le sujet soit transparent à lui-même. C’est au contraire son opacité qu’il découvre. Autrement dit, qu’il ne se réduit pas à son intimité. […]
Le désir de transparence qui raisonne aujourd’hui le monde se réalise en volonté d’extorquer l’intime, d’arracher sa vérité au sujet. C’est-à-dire que c’est non seulement une violence, mais une illusion. Dangereuse. Au regard de quoi le sujet n’a à lui opposer que son droit au caché. Un droit non écrit, qui n’est pas simplement de cacher la vérité, mais de cacher aussi qu’il ne sait rien de cette vérité. […]
Que l’ombre reste dans l’ombre, c’est le droit des sujets.
Il est d’autant plus nécessaire de le proclamer qu’il est plus que menacé, mais directement attaqué. Sous les impératifs de la transparence, les territoires de l’intime tendent chaque jour à se réduire un peu plus, leurs frontières à s’estomper. »
extrait de L’Oeil absolu, G. Wajcman
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