Le vivier des noms – Valère Novarina
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. »
Par Vincent Breton
Que le langage soit. Soit dit. Action de parole, et de toute façon on sait ce qu’on va voir quand le nom de Novarina occupe les places de l’auteur et du metteur en scène. Parce que vous n’en croirez pas vos bouches, il faut qu’un tel texte soit dit pour vivre, par le résonateur vivant de l’acteur.
« Entrent le Chien Amen, Chronoducle, l’Enfant de Viandeur, la Séparatrice, le Hueur, l’Usinier, Viandême, l’Enfant Endémique, l’Octantrier, le Multisciplier Blanc, l’Enfant Cinq de Corps, l’Homme en Matière Vive, les Dix-Sept Mille Sept Cent Quatre-Vingt-Septième, Théophage, l’Une des Sépultures de la Mort, l’Anthropotime, l’Homme de Boue, l’Enfant Exhaustif. Entre Raymond de la Matière. »
De fait, entre Manuel le Lièvre. Beaucoup sont appelés — environ 5000 —, peu apparaissent effectivement sous l’injonction performative de l’Historienne. C’est assez long, deux heures et demie, et il semble ne falloir rien en attendre d’autre que cette imperturbable création vocale. Aussi sont exclus ceux qui comptaient sur cette sortie culturelle pour s’enorgueillir d’une clairvoyance particulière eût égard à notre patrimoine. Ici, les castes sont abolies. Personne n’y comprend rien mais tout le monde sent, sans pour autant traiter de la même façon ces sensations. Beaucoup, après avoir espéré une nouvelle débauche de décors sublimes et d’acteurs de renom comme ceux qu’ils ont vus à la Colline la semaine dernière dans le Temps et la Chambre — Non mais on a un abonnement, bien sûr. Je ne connais pas ce Mouawad mais sa programmation ne change pas significativement des précédentes. En tout cas Jacques Weber était très bien. Ah oui, très très bien. —, partent.
Si l’on reste, c’est pour accepter jusqu’au bout la proposition anachronique et absolue de voyage orphique. Comme un chant d’exploration de notre langue, de l’histoire de notre langue, de sa construction, de ses particularité phonétiques, et même plus essentiellement phoniques. Un travail de recherche qui ne cède rien à la facilité mais qui nous rappelle, par toute la proximité qu’on y trouve, celle qui nous unit à notre langue. Que notre langue n’est pas hors de nous, n’est pas distincte de qui nous sommes en culture et en société. Une prolixité nécéssaire, parce que condensée de toutes nos prolixités banales et dérisoires, pour que chacun puisse y entendre un mot, peut-être son mot, celui qui trouvera un écho particulier, un son déjà entendu dans le silence de l’autocensure imaginative.
Sur ce théâtre, tout peut être dit pourvu que ça soit sincère et sincèrement humain. Chant pour représenter la représentation de l’homme, la médiation de l’homme par son langage, qui est donc bien plus que médiation puisque tellement identité. Et alors tout est possible, l’homme n’existe pas encore, l’homme est encore un songe, une fumée dans laquelle apparaissent des étoiles, des unicités. Un spectacle pour respirer l’homme.
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