La mort de Tintagiles – Géraldine Martineau
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. »
Comment transmettre la puissance d’un symbole tout en laissant place à la pièce? Par quels choix de mise en scène l’on crée ces symboles scéniques ?
Au théâtre de la Tempête se joue La mort de Tintagiles, pièce originellement pour marionnettes écrite par Maurice Maeterlinck en 1894 et mise en scène par Géraldine Martineau. C’est l’une des dernières « pièces pour l’âme » de l’auteur belge.
Bien que le théâtre symbolique ait ouvert de nouvelles perspectives pour la création dramatique au XIX et début du XXème siècle, aujourd’hui les auteurs symbolistes (Yeats, Mallarmé, Claudel entre autres) sont rarement joués. Le choix de s’attaquer à un texte comme celui-ci est déjà un parti-pris à considérer : que veux-t-on dire, aujourd’hui avec ces textes qui, contrairement à la plupart des mises en scènes contemporaines, ne résonnent pas directement avec l’actualité sociétale ? Mais le théâtre symboliste est traditionnellement un théâtre d’images et de suggestions. Pour les élèves et apprentis des techniques et procédés scéniques, ce spectacle est une intéressante revue des principaux éléments basiques et communs à prendre en compte pour toute mise en scène.
Cette mise en scène de Géraldine Martineau s’inscrit dans l’esthétique onirique des mises en scènes symbolistes du début du XXème siècle d’abord par la place primordiale donnée à la création lumières. Un grand jeu de pénombres et d’éclairages surprend par ses couleurs bien définies (du rouge, du bleu et du blanc principalement). Or, Maeterlinck avait conçu cette pièce comme un théâtre de marionnettes ou d’ombres. Ici, l’utilisation du jeu d’ombres pour figurer les servantes de la reine rentre tout à fait dans ce cadre. En tant qu’étudiant au LFTP ayant été initié aux notions basiques d’éclairage, je conçois que l’art de la création lumières est de montrer et de cacher ainsi que de dessiner des espaces, plutôt que la création simple d’ambiances. La difficulté est de le faire soit dans la subtilité (comme, par exemple, les variations lumineuses presque invisibles chez Claude Régy) soit comme une matière principale de l’image (comme chez Bob Wilson qui en fait sa principale scénographie). Sans devoir se limiter à ces deux grandes références du théâtre contemporain, il me semble qu’en général toute mise en scène doit éviter le piège de l’entre-deux (ne pas être assez radical), ou celui de la gourmandise (laisser la lumière prendre trop de place par rapport au sens global). Géraldine Martineau ne tombe pas dans ces écueils, mais la création lumière est peut-être un peu trop visible et pas assez suggérée.
Cette mise en scène reprend également le courant symboliste traditionnel dans l’utilisation de décors uniques et géométriques sur un fond noir, qui permettent de faire de l’espace scénique un lieu abstrait, immatériel. Dans cette mise en scène, il y a une tentative d’y ajouter quelques matériaux et textures telles que du sable et de la fumée. Ce procédé est généralement utilisé pour donner de la vie à l’espace et le rendre plus malléable. Dans mon apprentissage, j’ai pu constater que l’utilisation des matières marche en général quand elles sont entièrement incorporées dans la dynamique du spectacle (évolution du décor -s’il y a-, jeu et corps de l’acteur, sens dramaturgique…). Or, Maeterlinck présente dans sa pensée, un « refus du matériel »[1] difficile (voire impossible) à atteindre sur scène. Quel est donc le chemin à suivre de nos jours pour des textes imprégnés d’un imaginaire si puisant? Faire comme l’auteur le demande et retirer toute possible matérialité ou faire des choix indépendants ? Il n’y a pas, je pense, de bonne ou mauvaise réponse tant que le choix est clair, tranché et justifié. Dans La mort de Tintagiles, différents espaces sont aussi utilisés pour souligner les volontés de l’auteur et signifier les différentes parties de la pièce. Ainsi dans la pièce, il y a trois espaces et il est de même pour cette mise en scène. Cette interprétation littérale est toutes fois aussi symbolisée (la colline devient une balançoire, l’appartement dans le château est un banc avec du sable, et la tour est une passerelle du théâtre). On peut se poser la question la sur signification des espaces et cette incorporation de quelques matériaux dans une mise en scène qui cherche dans la finesse, l’abstrait et l’évocation.
Un autre aspect que je souhaite évoquer dans la mise en scène est l’aspect sonore. A la fois concernant les sons enregistrés, ceux crées en direct, qu’ils soient musicaux ou paroles entendues. Des nappes sonores enveloppantes seraient, pour ainsi dire, une base complétée par un harmonium joué sur scène par Sylvain Dieuaide. Aussi, dans l’aspect sonore de cette mise en scène il faut souligner la prise de parole choisie par Martineau dans sa direction d’acteurs. Dans un rythme lent qui laisse entendre tout le texte de Maeterlinck, les voix semblent désincarnées. Est-ce là une autre référence au théâtre d’ombres ou de marionnettes ? Martineau parle de l’acteur « comme vecteur ». Ce choix perturbe ou crée des effets selon les spectateurs mais ne laisse pas indifférent, ce qui est déjà une vertu. La prise de parole est en effet un élément qui souvent passe inaperçu de nos jours où la recherche est souvent axée vers une certaine « vérité » dans le dire (or, même dans cette perspective, le mode de parole reste un choix). Ici, on n’est clairement pas dans cette recherche. Les voix ne sont pas ordinaires, ni mêmes « naturelle » pour les acteurs (Sylvain Dieuaide maintiens une voix aigüe pour rappeler l’innocence de Tintagiles). La lenteur permet donc une approche plus poétique du texte, mais la « désincarnation » ajoutée à n’aide pas à trouver le contact avec le public (or, ceci n’est peut-être pas le but de Géraldine Martineau).
Finalement, le corps des comédien.nne.s est traité d’une manière très particulière : autant certains moments s’inscrivent dans la tradition symboliste du « théâtre statique », autant, a des moments choisis les corps se transforment en symboles vivants (comme celui de Sylvain Dieuaide lorsque la reine attire Tintagiles vers elle). Cette fois-ci, le fait de passer d’un traitement à un autre permet de créer un contraste qui captive l’œil et les autres sens.
Dans un spectacle où les images jouent un rôle primordial, la superposition des différents systèmes de langage est plus difficile à manier car chaque détail est potentiellement significatif pour l’œil du spectateur. Or, les spectacles qui m’ont semblé les plus justes dans cette optique, sont ceux qui dégagent une certaine légèreté dans la manipulation des symboles – à savoir, qui sont exigeants avec la fabrique théâtrale, mais ouverts et perméables a un spectre ample de regards. Car si le théâtre symboliste cherche à toucher l’âme plus que l’intellect du spectateur, je pense qu’il faut aller chercher dans une sorte d’inconscient collectif et universel profond plutôt que dans des images scéniques identifiables qui nous ramènent à des effets concrets. Le spectacle de Géraldine Martineau est donc intéressant dans la recherche des formes théâtrales et comme point de départ d’une réflexion sur la manière dont les choix de mise en scène naviguent entre la subtilité et la radicalité.
[1] Lado Kralj, « Le théâtre d’Androïdes. Tendances de dissolution du matériel dans le théâtre de Maeterlinck, Mallarmé et Craig », Babel, 6 | 2002, 243-263
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