En manque – Vincent Macaigne
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. »
Par Mathilde Bellin
Du 25 novembre au 22 décembre se jouaient, dans le cadre du festival d’Automne, deux spectacles de Vincent Macaigne : En manque à la Villette, une re-création tirée d’une sortie de résidence à la ménagerie de verre en 2012, et Je suis un pays, sous-titrée Comédie burlesque et tragique de notre jeunesse passée, une création au théâtre des Amandiers à Nanterre.
En parallèle de Je suis un pays, un second public était convié à monter sur scène pour assister à une performance intitulée Voilà ce que jamais je ne te dirai, à la fois indépendante et superposée à Je suis un pays.
Trois spectacles, un film (Pour le réconfort, sélectionné au Festival de Cannes à l’ACID), et encore bien d’autres projets en cours : l’enfant terrible du théâtre contemporain n’a pas fini d’éclabousser ses spectateurs de peinture, d’eau, de mousse, de fumée et de faux sang. La débauche scénographique qu’on lui connaît bien est évidemment encore une fois au rendez-vous, pour ces deux spectacles que Vincent Macaigne qualifie lui-même de spectacles « d’avant-guerre ». Une catastrophe imminente, un état d’urgence littéralement transposé au plateau, une frayeur prophétique… voilà la tonalité donnée à ces deux pièces, aux décors colossaux et aux effets sonores proches de la saturation. Par l’entremise d’acteurs survoltés, de cris, en somme d’excès, Vincent Macaigne reste fidèle à son credo, l’Hybris, et vient nous raconter les conflits générationnels qui se propagent dans une Europe en perdition. Il s’agit du leitmotiv principal, qui traverse à la fois Je suis un pays et En manque.
Je suis un pays pourrait être comparé à une fable grand-guignol, une parabole qui brosse le tableau d’une Europe post-apocalyptique où des prétendants au pouvoir s’entre-déchirent. Mais ce spectacle baigne toutefois dans un flou dramaturgique : la fiction est vague, hagarde. La dramaturgie paresseuse. Le texte échevelé, indigeste. Les personnages, hystériques, viennent nous raconter la bêtise des foules galvanisées par l’entremise d’une émission de télé-réalité qui se déroule en direct, au plateau, dont l’enjeu principal est le suivant : qui va tuer le président ? Mais le récit manque de cadre et se fait engloutir par l’apocalypse sonore et visuelle, qui passe pour un seul mode opératoire, dépourvu de fonction dramatique. Ainsi, pas de bouleversement ni de réelle violence pour le spectateur, alors que tout est déployé de manière éhontée pour cet unique dessein. Je suis un pays échoue à nous blesser, il devrait nous blesser, mais n’y parvient pas. La déception est d’autant plus grande que tous les moyens mis en œuvre crient au scandale, et que de scandale il n’y a plus, tant les procédés scéniques de Vincent Macaigne n’ont plus rien de surprenant.
En manque en revanche, est plus audible, plus lisible, aussi. Si le propos est similaire (Vincent Macaigne questionne encore une fois deux générations qui s’affrontent et une Europe en perdition), le mode opératoire sensiblement le même (le metteur en scène nous invite sur scène à boire de la bière et nous sature de sons, de cris et de diverses matières salissantes), le résultat est cependant légèrement différent. En manque, en effet, parvient réellement à nous toucher. La pièce raconte comment la génération de nos parents, celle des années 70, celle qui s’est « gavée », enrichie sans vergogne et qui nous laisse une planète pourrie, doit aujourd’hui affronter une génération Y en colère, qui vient se venger des rêves déréglés de ses prédécesseurs, de cette génération désabusée. L’histoire, la voici : la jeune Liza veut tuer sa mère Sofia, directrice d’une Fondation d’Art qui contiendrait toutes les œuvres de l’histoire de l’art occidental, et qui a pillé la fortune de l’Europe pour son propre intérêt. Chantre de l’individualisme forcené, Sofia apparaît dans une première scène choc, en costume à paillettes dorées sur un monte-charge, mégaphone en main. D’autres images puissantes rythment le spectacle, et nous laisse ébahis : des ondes de propagation sur un liquide noir qui recouvre le plateau ; un motard casqué et vêtu de noir à la voix d’outre-tombe qui apparaît dans l’épais brouillard ; un abcès tombant du plafond dans lequel se tortille Lisa comme un insecte noir, qui finit par se crever et déverser au plateau des litres de liquide…
Comme chaque fois, Vincent Macaigne tend à supprimer cette frontière persistante entre la scène et la salle, au prix cependant d’un certain forcing dans En manque : de jeunes acteurs dissimulés dans le public viennent tour à tour chercher les spectateurs pour les prendre par la main et les inviter à monter sur scène boire de la bière et danser sur de la techno de goût douteux. Nous sommes toutefois en droit de nous poser cette question : est-ce ainsi que l’on parviendra réellement à réunir la scène et la salle ? N’est-ce pas là une facilité démagogique, une idée en surface, qui échoue définitivement à convoquer le spectateur ? Le débat est ouvert.
Une chose cependant nous est parue évidente, l’énergie débordante des acteurs. En parallèle avec notre apprentissage au Laboratoire de Formation au Théâtre Physique, ce spectacle fait indéniablement écho aux préceptes que nous étudions ici et que cherchons à comprendre : mobilisation des corps, puissance vocale – comment font-ils pour ne pas perdre leur voix, en hurlant de la sorte à chaque représentation – et qualité de souffle réquisitionnée… Le travail des acteurs est à ce titre impressionnant de technicité et d’engagement, autant physique que vocal, et nous questionne en tant qu’élèves du LFTP sur le travail à accomplir pour parvenir à s’épuiser ainsi d’intensité sur les mots et les sons.
Leave a Comment