Après la répétition – tg STAN
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. » Par Noé Lovie
Huis clos. Une représentation contemporaine du film d’Ingmar Bergman. Deux rôles : un metteur en scène et l’actrice principale de la pièce qu’il monte. Après la répétition, ils se retrouvent seuls dans le théâtre.
Le temps est-il venu de faire tomber les masques, de rompre le rapport de force, de partager leurs craintes, leurs désirs ? Mais comment se départir de la peur d’être rejeté, du besoin de plaire ? Comment oser traverser l’abîme – s’élargissant au long des aveux – de l’«autre » ? La réplique qui clôt Huis clos de Sartre, pièce écrite en 1943 : « L’enfer c’est les autres », pourrait être dite par l’un de ces deux rôles. Ils sont comme deux aimants : loin ils s’attirent, proches ils se repoussent.
Aucun n’ose prendre le risque de faire le pas en plus, celui qui déciderait pour les deux. Peut-être se complaisent-ils dans cette tension, ce jeu qui les fait souffrir mais leur offre la liberté de ne pas se mouiller. De même, « après la répétition », est cet espace temps ambigu, entre la répétition et la représentation, le jeu et la réalité, l’après et l’avant.
On l’aura compris, il n’est pas question ici de grandes actions dramatiques. La dramaturgie repose sur des enjeux psychologiques, dont les deux interprètes représentent avec brio toute la complexité.
Lui conserve tout au long de la pièce une morgue, un quant-à-soi, dont il se départit à de rares occasions : diatribes semi-enflammées sur le jeu de l’acteur, colère face à la révélation qu’elle lui fait d’être enceinte… Mais il se recroqueville toujours dans sa coquille de silence et de dérision, comme un bernard l’hermite.
L’actrice interprète deux rôles au cours de la pièce : celui de la comédienne, et celui de sa mère, qui réapparaît dans un flash-back – particulièrement bien joué – où la femme alcoolique vient supplier le metteur en scène de lui accorder un rôle.
Le jeu de Georgia Scalliet illustre parfaitement les notions d’«objectifs » et de « super-objectif », avec lesquels nous travaillons au LFTP. Elle joue parfaitement les enjeux sans cesser de surprendre : « super-objectif » : décrocher un rôle pour relancer sa carrière. « Objectifs » : renouer avec leur vieille histoire d’amour, être sauvée d’un mariage qui tourne au cauchemar, lui faire admettre sa part de responsabilité dans sa déchéance actuelle… L’actrice ne perd jamais le cap, tout en surfant sur différentes vagues pour y parvenir, créant de ce fait une tension passionnante à suivre pour le spectateur.
Mais l’intérêt de la pièce ne vient pas uniquement de ce qui est dit sur le plateau, et le cadre lui-même de la pièce, invisible et pourtant omniprésent, suscite inconsciemment ou non notre intérêt.
En effet, il s’agit avant tout d’une rencontre entre deux acteurs, dont le mode de jeu est – c’est le moins que l’on puisse dire – différent. Frank Vercruyssen joue avec ce qui, depuis 30 ans, caractérise le tg STAN : un jeu épuré, sans quatrième mur, très en lien avec le spectateur. Georgia Scalliet, actrice à la Comédie Française, joue avec les ressorts dramatiques qui nous sont familiers. Elle interpréterait Done Elvire dans Dom Juan de Molière que nous verrions peut-être à peine la différence. D’ailleurs, lorsque nous avons rencontré l’acteur du tg STAN, dans la même salle du théâtre de la Bastille où il venait de jouer, c’est de cela qu’il nous a parlé en premier, avant même que nous lui posions nos questions, du fossé entre un acteur flamand, qui entrerait sur scène comme dans la vie et un acteur français, dont le rapport à la scène serait nourri par une tradition théâtrale, une « dramaticité » forte, selon lui préjudiciable à l’ici et maintenant de la représentation. Le contraste sur scène est saisissant.
Qu’est-ce qui fait donc que nous y adhérons, nous spectateurs ? Est-ce parce que cela sert le propos même de la pièce, en marquant la différence entre les deux rôles, celui du metteur en scène et celui de l’actrice ? Ou est-ce parce que les interprètes en ont conscience et choisissent sciemment d’en faire théâtre ?
Lorsque Frank Vercruyssen bouge très peu, restant au centre plateau en avant scène, et lorsque Georgia Scalliet se déplace autour de lui, comme un poulain rétif autour d’un dresseur, sont-ce deux univers théâtraux qui cherchent à s’apprivoiser ? Le quant à soi du rôle du metteur en scène est-il en fait une réserve de l’acteur face à un théâtre dramatique ? De même, le flash-back de la mère est-il une tentative de révolte d’un théâtre dramatique, un besoin de rêve, de voyage, de transposition d’un ici et maintenant vers un ailleurs théâtral ?
Finalement, les deux rôles (et les deux interprètes) ne se rejoignent jamais autant que vers la fin de la pièce, lorsqu’ils évoquent tout ce qu’aurait été leur histoire d’amour, plutôt que de la vivre. Là, se trouve peut-être le cœur du théâtre, quand la parole écrit l’histoire, dit ce qui aurait pu, ce qui pourrait, au lieu de ce qui est ; et se résume à cette formule magique « et si… ». Bien sur, cela demande des acteurs une grande technicité : qualité de la diction, rythme de la parole… Mais, s’il suffisait de ce simple échange de parole pour faire théâtre, quelque soit la tradition dont nous sommes le fruit ?
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