ZYPHER Z. – MUNSTRUM THÉÂTRE
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. » Par Paul Bagaïni et Daphné Papadopoulos.
« Le Tapis métaphysique de la réalité est en train d’être levé. »
Le public est prévenu, c’est la déconstruction d’une réalité, la dissection de la vérité humaine qui lui est proposée dans Zypher Z, une zoo-robo-dystopie où les animaux intelligents – ou comme le décrit le metteur en scène, Louis Arène, : « anhumains » – dirigent le monde.
Écartez les pattes, la souffrance change de camp. En effet, c’est l’extinction de la race humaine qui nous est narrée; les animaux ont pris le contrôle. Les machines sont devenues leurs esclaves et les humains des petites mains insignifiantes. C’est le cas de Zypher, notre héros, l’un des derniers humains dans cette société où les « violences inter-espèces » ne cessent de faire grimper l’insécurité. L’humain serait-il responsable de sa propre extinction ? On questionne simplement la vie. Son sens et ses multiplicités. Humiliation, catégorisation de l’individu nous sont données à voir, l’humain en oublie la complexité de son être. A force d’annihiler cette complexité, elle se divise. Zypher voit une excroissance troubler sa concentration. Un cocon à taille humaine s’extirpe de son dos et donne naissance à son double « Z ». Un soutien, une aide, une confiance et une affirmation en société se dessinent grâce à lui. Une version décomplexée de son géniteur.
Puis la séparation de ces différentes facettes engendre l’extrême et la destruction. Tandis que Z est au plus haut de l’échelle sociale de cette société sombre et cynique – société qui ressemble étrangement à la nôtre – Zypher lui, est au plus bas. Il découvre une communauté marginale « à la recherche du temps perdu ». Un refuge où l’on joue à la vie, afin d’approcher la mort. Mais une rencontre divine – ou une apparition, un mirage peut-être – demande à Zypher de retrouver et réintégrer son double. « Accepte le multiple qui est en toi ».
Déconstruire, mourir, pour renaître à l’intérieur d’une bulle intra-utérine, où Z est absorbé par Zypher. Pour cette réunion des deux antagonistes, un rideau rose, pailleté et satiné, prend l’entièreté du cadre de scène, aspire les deux hommes dans un mouvement drapé, qui rappelle les vagues d’un océan déchaîné, les nuages d’un ciel tourmenté, les lèvres d’une vulve pleine de vie. L’homme en échec, retourne dans le ventre de la gestation pour se rassembler. Une image époustouflante, reflet de l’utilisation d’une esthétique kitsch mais léchée, qui accompagne la pièce : l’image qui ne s’essouffle pas, justifiée par des sens et des signes au service de la dramaturgie.
Les lignes de la réalité se troublent d’autant plus. Zypher multiple, apparaît et disparaît courant après sa multitude de masques et d’identité. Un chœur d’hommes, au plus proche de sa nature propre, parcourt les limbes de Zypher, l’humanité, le Z, dernier homme, prêt à renaître. De leurs multitudes se re-créent une unicité, une égalité des êtres. Noyé dans ce liquide séminal ou amniotique, l’humain revient à sa nature, à sa chair initiale : Renaissance de l’homme, de l’Homme humain qui s’était perdu.
Après le Z, vient le « Ah ! » époustouflé d’un public embarqué dans cet univers parallèle, fort en images, riche en mouvement, sans profusion de moyens mais voulant démontrer le bordel. Bordel qui est ici organisé et millimétré. Les corps comme les masques sont choisis et dessinés, pour ne rien laisser au hasard. Les signaux doivent être clairs et précis pour emmener au plus vite le spectateur dans ce voyage vers l’intérieur de l’espèce, des espèces. La réalité se déconstruit au fur et à mesure de l’histoire, aidée par les composantes de la scène qui soulignent cette distorsion.
La scénographie de Mathieu Lorry Dupuy composée d’éléments de décor mobiles permet de fluidifier les transitions entre les différents espaces de l’entreprise. Le jeu de lumières de Jérémie Papin vient souligner subtilement les espaces et donne immédiatement au spectateur le ton de la scène sans détourner son attention. Lumières, son, voix, se disloquent et se floutent avec l’identité de Zypher. Cette scénographie souligne le point de vue interne à Zypher, de sorte que l’oeil du public se reflète dans l’oeil de Zypher. Le spectateur est amené à se perdre dans les chemins sinueux de la compréhension de la vie et la complexité de l’être. Ces artifices, allant parfois au-delà des normes et du “bon goût”, peuvent rappeler l’onirisme d’Hayao Miyazaki, l’exubérance et l’absurde de Copi ou encore l’humour noir et l’univers décalé des Monty Python. Cela permet d’immerger le spectateur dans cette dystopie, plus proche de notre monde qu’on ne le pense.
Contrairement aux précédents spectacles du Munstrum, celui-ci n’avait pas de matière textuelle préexistante. En effet le texte est original, signé Louis Arene et Kevin Keiss. Au plateau les six acteurs présents, Louis Arene, Sophie Botte, Delphine Cottu, Alexandre Éthève, Lionel Lingelser et Erwan Tarlet, se partagent une quarantaine de masques réalisés par Carole Allemand et Louis Arene. Chacun de ces masques exige des caractéristiques de personnages et de corps différents, voix, démarches, accents, tics et autres particularités. Ce qui retient le plus notre attention est le travail impressionnant des corps des acteurs: la précision de leurs gestes, la rigueur avec laquelle chaque masque est porté. Nous avons eu la chance au LFTP de suivre un stage de masque neutre puis expressif avec Peggy Diaz. Ce n’est qu’un stage de découverte mais le peu de temps passé derrière un masque expressif permet de comprendre la nécessité du travail des comédiens masqués. Il faut tout d’abord faire naître un personnage en partant du masque: une voix, un caractère puis une démarche mais le plus dur c’est de garder tout cela, en respectant les règles du jeu masqué dictées par la tradition de la commedia dell’arte. Dans Zypher Z c’est différent, on ne retrouve ni les règles de jeu strictes ni les archétypes de la commedia, ce qui ne rend pas la tâche plus facile. Sachant que les comédiens passent d’un masque à l’autre à un rythme soutenu, le respect du personnage est d’autant plus remarquable. Cette rigueur demande une endurance physique et mentale pour faire exister le masque, l’oubli d’une caractéristique physique ou vocale suffirait au public pour se perdre. Le port des masques n’empêche en rien les comédiens d’avoir des corps dessinés. Erwan Tarlet, interprétant un lézard, fait preuve d’une technique physique remarquable qui lui permet de faire des cascades malgré un masque encombrant.
Zypher Z ne demande pas à son public d’avoir un niveau de culture générale particulier. On voit facilement les parallèles avec notre société. Finalement le spectateur accepte sans problème l’analogie et s’habitue rapidement à voir des humains interagir avec des animaux et des animaux agir comme des humains. La hiérarchie animale est respectée dans l’entreprise. Comme George Orwell, dans Animal Farm, le Munstrum fait confiance à l’imaginaire collectif de son public. Ainsi ils se servent de stéréotypes associés aux animaux pour caractériser leurs personnages. Le spectateur définit alors inconsciemment les spécificités de chaque “anhumain”. L’inspecteur de police est un chien, qui utilise son flair pour résoudre son enquête. De leur côté, les robots sont étrangement humains, coincés dans leur éternité ils sont à la recherche de sensation. Ils utilisent l’art pour ressentir plaisir et souffrance, et offrent ainsi au public des réinterprétations de grands classiques – populaires ou non – pièces de théâtre, air d’opéra, texte poétique, philosophique ou comique. Ils se retirent de cette société, qui les objectifie, pour parler de la mort et de l’existence. Entre ces deux espèces, l’humain Zypher, porte un masque aux traits simples qui semble effacer la plupart des expressions faciales et lui dessine un visage neutre, normal, l’humain lambda, l’humain zéro.
Avec cette pièce, Le Munstrum théâtre aborde des sujets réels, graves et potentiellement choquants mais le pas de côté, cette délocalisation de notre société dans un monde imaginaire, permet d’en parler avec légèreté et humour.
Crédit photographique : Maëliss Le Bricon
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