SLEEPING – SERGE NICOLAÏ
« Parce que nous sommes acteurs de théâtre et acteurs aux théâtres, parce que nos passions sont à la fois sur la scène et devant la scène, ici suivent des pensées d’acteurs (jeunes créateurs en « exercice ») et de critiques de théâtre (jeunes spectateurs en « exercice») en formation au LFTP. » Par Daphné Papadopoulos.
Au début du mois de novembre 2021, au théâtre du Monfort se jouait Sleeping, un spectacle de Serge Nicolaï avec Yoshi Oida, une pièce inspirée du roman Les Belles Endormies de Yasunari Kawabata.
Serge Nicolaï nous emmène par le biais de rêves merveilleux dans l’esprit d’un vieil homme mourant, Eguchi interprété par Yoshi Oida. Eguchi intègre une clinique où on lui propose une drogue – seulement destinée aux vieillards – qui donne au réveil la sensation d’avoir rajeuni. Certains vieillards rêvent de leur vie passée tandis que d’autres se retrouvent happés par des cauchemars mais tous finissent par sombrer paisiblement dans un sommeil éternel. Eguchi choisit lui aussi de prendre de cette drogue et tombe aux côtés d’une jeune fille endormie, dans un sommeil profond.
Avec les moyens d’un Théâtre Pauvre, le spectateur est transporté dans un monde fantastique. Une scénographie efficace et un vidéoprojecteur nous offrent un accès direct aux pensées d’Eguchi. Le spectateur se retrouve alors plongé dans un monde parallèle onirique, à la rencontre des femmes ayant façonné la vie du vieillard – d’abord sa mère, puis son amante, puis sa fille. La dernière traversée des jalons marquant sa vie, invite Eguchi à une dernière introspection, remise en question de sa propre personne et de ses choix.
Serge Nicolaï opte pour une mise en scène épurée, empruntée à la culture japonaise. Le travail des costumes en est une manifestation, allant des costumes plus traditionnels comme le yukata, le kimono, les geta, jusqu’au style kawaii bien plus répandu de nos jours et les masques d’animaux comme le porc et le lapin, symboles dans la mythologie nipponne de saleté pour l’un, et d’amour et de guérison pour l’autre. Le metteur en scène est ici très proche du Théâtre Nô (masques traditionnels, précision des mouvements, etc) et la plupart des échanges se font en japonais.
Pour un laborantin du LFTP, il est une chance de voir Yoshi Oida à l’œuvre, après avoir attentivement lu ses écrits théoriques. Dès mon entrée dans la salle et aussitôt installée à ma place, mon attention s’est particulièrement attachée à la technique des acteurs sur scène et plus précisément à leur posturalité et leurs mouvements. J’ai rapidement remarqué la technicité de l’acteur – Yoshi Oida est un pape dans cette discipline – dans ses gestes et ses déplacements. Je dois avouer que le corps de ses partenaires de jeu étaient encore plus fascinants – peut-être était-ce une volonté du metteur en scène qu’Eguchi ait un corps et une démarche quotidienne et que les hommes et/ou créatures qu’il rencontre dans ses rêves nous donnent tout de suite une sensation étrange presque d’inconfort. Le même inconfort et la même sensation qu’on retrouve après avoir traversé un rêve où surgit un visage qui nous paraît familier que l’on arrive pas tout à fait à saisir, un visage pas tout à fait conforme à la réalité. Eguchi figurait là comme un intrus, les démarches des personnages étaient particulières, leurs mouvements amples et soignés. Eguchi est le seul à ne pas porter de masque traditionnel japonais dans ses rêves; ce masque traditionnel appelés kamen, signifiant « visages passagers », or le jeu masqué demande au corps d’avantage d’engagement. Dans l’exercice du masque neutre, que nous apprenons avec Peggy Dias, j’ai découvert que pour qu’un masque existe sur scène il n’est pas suffisant qu’il soit simplement porté par un acteur ou posé sur un visage. Le corps de l’acteur doit être au service de son masque. Dans le cas du masque neutre, les mouvements de l’acteur doivent être essentiallisés et décomposés, le plus simplement et le plus logiquement possible. À chaque masque sont donc associés une démarche et des maniérismes particuliers qui ne peuvent être trop petits ou quotidiens sinon le masque aura du mal à exister, à être vu par le spectateur.
Serge Nicolaï réussit à transporter le public dans un monde proche de celui qu’on pourrait voir dans un film d’Hayao Miyazaki, un monde fantastique, magique et terrifiant avec très peu de moyens ce qui me laisse à penser qu’il est possible de faire voyager les spectateurs avec une pièce de théâtre autant qu’avec un film d’animation.
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