Othello – Entretien avec T.Ostermeier
Ostermeier secoue Shakespeare
Deux ans après un Hamlet détonnant, qui ne faisait pas que feindre la folie, Thomas Ostermeier s’empare d’un autre personnage fascinant de la galerie shakespearienne : le jaloux Othello. Avec lui, Iago, Cassio, Desdémone… qui joueront tous ensemble la tragédie d’une société faussement ouverte et tolérante.
Après Démons de Lars Noren, avec maintenant la jalousie d’Othello, vous vous attaquez à des pièces sur le couple…
Thomas Ostermeier : Pour moi, Othello est une tragédie d’amour mais aussi une pièce politique et sociale. Othello est un étranger dans une société où règne l’élite de l’aristocratie vénitienne. Il acquiert le statut de gouverneur de Chypre à force de luttes et de combats, mais n’arrive pas à se croire légitime pour épouser une fille des classes dominantes. La question essentielle pour lui est : puis-je avoir confiance dans mon bonheur après cette vie traversée de tant de violences ?
Exit donc le thème central de la jalousie ?
T.O : Pour moi, le grand jaloux dans cette pièce n’est pas Othello mais Iago. En effet, il réagit comme un homme éconduit dans une relation amoureuse. Je le crois réellement amoureux d’Othello. Mais ce dernier choisit Cassio pour officier, sans doute parce que Iago est un étranger lui aussi : il est espagnol. Il y a là une véritable trahison dans le combat social pour le pouvoir et la conséquence d’un racisme insidieux.
La question du racisme se pose plus généralement à propos du maure Othello ?
T.O : La société vénitienne dit qu’elle n’est pas raciste, ce qui est vrai puisqu’elle permet à Othello de devenir gouverneur de Chypre. Mais à l’image de notre société européenne, ce racisme sourd sous un discours de tolérance et d’ouverture. Et il ressurgit à l’occasion de luttes sociales, de crises politiques ou économiques. C’est le cas dans la pièce à l’occasion du combat entre Iago et Cassio. Mais ce racisme est aussi intériorisé par Othello. Pourquoi ne parle-t-il pas à Desdémone ? Pourquoi ne lui fait-il pas confiance ? Parce que sa vie s’est construite dans la lutte violente contre l’exclusion, si bien qu’il ne peut croire à son bonheur. Sa classe est à jamais inscrite dans son visage.
« Ma fascination pour Shakespeare ne fait que commencer. »
On sait votre faculté à faire théâtre politique de textes classiques, cette dimension primera-t-elle dans votre mise en scène d’Othello ?
T.O : Les rapports dans Othello reflètent une hiérarchisation sociale très militaire et une domination masculine qui sont encore de mise. Comme aujourd’hui, certains font des guerres pour des raisons économiques, et excluent des catégories de population pour garder le pouvoir entre leurs mains. Il ne s’agit pas que des étrangers, mais aussi des femmes, des personnes âgées… Et l’on avance toujours les mêmes explications politiques, où les forts condamnent les faibles, quand on rejette par exemple aujourd’hui sur l’Afrique la responsabilité des inégalités économiques dont elle est victime. Cependant, dans le déroulé de sa dramaturgie, Othello est tout d’abord une pièce politique, puis privée, et à nouveau politique. Et au-delà de la jalousie, je trouve que l’amour en est l’émotion de base. Quatre couples y ont chacun une vision différente de l’amour : Othello et Desdémone s’aiment loyalement, Cassio, lui, va régulièrement voir des prostituées, tandis que Iago est avec Emilia depuis dix ans, mais en investissant toute sa libido dans sa vie professionnelle.
Deux ans après Hamlet, pourquoi revenir si vite vers Shakespeare ?
T.O : Avec les pièces de Shakespeare, on commence toujours avec une certaine idée dans la tête. Puis, quand on répète, on découvre qu’il était très proche du plateau, que ce qu’on ne comprend pas à la lecture, on le comprend sur scène. Il y a une profondeur des questionnements et un approfondissement progressif des thématiques qui sont proprement bouleversants. Avec beaucoup d’auteurs, on reste dans une première chambre, mais avec Shakespeare, on découvre une deuxième, puis une troisième pièce, et on n’en a jamais fini. Ma fascination pour ses œuvres ne fait que commencer.
Propos recueillis par Eric Demey (Extrait du Journal La Terrasse)
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